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HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

cette adresse à disposer l’économie d’une cause, qui supplée si souvent au savoir et à l’éloquence. Aussi ses émolumens comme avocat, quoique parfois considérables, étaient fort incertains ; il était surtout employé soit dans les causes d’un caractère public, soit dans celles qui lui permettaient de déployer son talent et son énergie dans une allocution directe au jury. Cependant il fit souvent preuve de cette verve comique et satirique encouragée par la mode dans le barreau anglais, même dans les occasions les moins convenables ; ses harangues ironiques, ses interpellations aux témoins, étaient souvent des chefs-d’œuvre de style comique. De tous les discours de lord Brougham prononcés au barreau, les plus connus sont ceux qui se rapportent au procès de la reine. Mais pour l’énergie du langage et pour le pathétique, sa défense de John Williams, en 1822, est bien supérieure. Ce procès nouveau n’était qu’une suite du précédent, et le trouva encore tout plein de l’indignation que les attaques dirigées contre sa royale cliente lui avaient inspirée. Williams (un libraire de Durham) était accusé d’un libelle contre le puissant clergé de ce diocèse, qu’il avait attaqué dans un langage violent pour son refus obstiné de donner aucune marque de respect à la mort de la reine Caroline. La popularité de la cause de la reine, l’extrême impopularité de la cause du clergé, et surtout la faiblesse inattendue, la maladresse de son adversaire, — d’ailleurs l’un des avocats anglais les plus distingués, — tout cela était une puissante excitation pour le génie ardent de Brougham. Abandonnant la cause de son client, il donna un libre cours à sa colère concentrée dans la plus terrible apostrophe contre l’église, ses ministres et ses patrons, qui ait jamais été prononcée sur ce sujet favori de la déclamation satirique. Toutes les accusations vraies ou fausses que les ennemis de l’église avaient rassemblées, la vénalité, la rapacité, la servilité pour le pouvoir, Brougham les réunit et les condense, quelques-unes sous la forme d’une condamnation solennelle, d’autres sous le voile de l’ironie la plus transparente. Il y a des traits qui placent l’orateur près de son modèle favori, Démosthènes, d’autres qui rappellent Mirabeau. L’effet de ce discours fut terrible ; l’émotion de l’auditoire s’exprima par des applaudissemens, chose rare dans un tribunal anglais. Pourtant l’orateur perdit sa cause, et son client fut condamné à l’amende et