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LITTÉRATURE FRANÇAISE.

pas. Qui de vous en présence de quelque action, à l’aspect de quelque site, à la lecture de quelque page, ne s’est écrié : Que c’est beau ! Avant que la réflexion fût arrivée, le cri de l’ame était parti !

Sans doute la philosophie de la littérature ne sera complète que lorsque de l’étude de toutes ses manifestations partielles, on se sera élevé à ses lois générales et à son principe souverain, et que de là on sera redescendu aux principes particuliers et aux lois spéciales de chaque développement littéraire.

J’espère que nos travaux comparatifs concourront à pousser la science vers ce but, mais avant qu’il soit atteint, faut-il renoncer à toute appréciation, à tout jugement ? Faut-il suspendre notre décision et nous interdire scrupuleusement l’émotion et l’enthousiasme jusqu’à ce qu’un système complet de philosophie littéraire nous en vienne octroyer le droit ? Je ne sais si cet effort serait en notre pouvoir, mais nous ne le tenterons pas. Que diriez-vous, messieurs, d’un homme qui, pour prononcer sur la moralité d’un acte, aurait besoin qu’un système de morale, embrassant tous les cas possibles, vînt trancher ce cas particulier ; d’un artiste qui demeurerait en face de sa toile jusqu’à ce qu’une théorie complète de l’art lui indiquât la place où devrait tomber son pinceau ? Messieurs, en attendant la théorie complète qui pourrait se faire attendre long-temps, l’homme moral, l’artiste, suivent leur instinct ; le critique a aussi le sien ; je l’ai déjà nommé : c’est le goût.

Le goût véritable n’est point cette susceptibilité minutieuse qui s’offense de la moindre hardiesse et s’effraie à la plus légère innovation, c’est un sentiment mâle autant que délicat, qui, sous toutes les formes, sous tous les noms, sait reconnaître le génie et l’adorer. L’étude, loin de l’accabler, doit le fortifier et l’étendre ; pour être plus large et plus élevé, il n’en sera que plus sûr. Exerçons donc cette faculté précieuse, sans laquelle l’art n’existe point, en l’appliquant tour à tour à des compositions littéraires de tout siècle et de tout pays, comme en s’entourant des chefs-d’œuvre de la musique et de la peinture, on fait l’éducation de son oreille ou de ses yeux.

Ici se présente un double écueil ; loin de nous, sans doute, les préjugés de pays ou de secte, les superstitions d’école ; loin de nous les