Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/430

Cette page a été validée par deux contributeurs.
418
REVUE DES DEUX MONDES.

voix claire et sonore, de cet air dégagé, décidé, tranchant même, qu’on lui connaît et qu’on lui pardonne. Et les autres peuples reprennent volontiers d’elle les richesses qu’ils lui ont données, parce qu’en y mettant sa marque, elle y a gravé le titre qui les rend propres à la circulation et au commerce des idées.

C’est l’honneur de la littérature française que son histoire soit liée à celle de toute l’Europe, et par les Arabes, les Juifs, les croisades, à celle de l’Orient. La France est le cœur de l’Europe, elle reçoit le sang qui afflue de toutes les parties de ce grand corps et le renvoie à ses extrémités plus coloré, plus vivant : circulation qui a toujours existé et qui est aujourd’hui plus active que jamais. Je sais qu’elle déplaît à certains esprits aussi bien que l’autre circulation déplaisait à la faculté ; il se trouverait aujourd’hui, comme au temps de l’arrêt burlesque de Boileau, des gens qui voudraient empêcher ce sang de courir et vaguer çà et là, mais ils y perdront leur peine ; le généreux cœur de l’Europe ne cessera point de battre et de palpiter. L’antiquité appelait le sang le siège de l’ame ; mais ceci, c’est l’ame elle-même, car c’est la pensée.

Cette double action de l’Europe sur la France et de la France sur l’Europe doit tenir une place importante dans notre histoire. Il y a là toute une portion de notre vie littéraire dont l’origine ou le terme est hors de nous ; nous ne sommes point sur un isoloir, messieurs ; sans cesse nous absorbons et versons par mille courans cette électricité d’où jaillit la lumière et quelquefois la foudre. Et remarquez, je vous prie, qu’à toutes les époques nous nous sommes glorieusement acquittés envers l’Europe. Ce que les vents nous ont apporté de semences les plus lointaines a fructifié parmi nous et a produit au centuple. L’Espagne nous a envoyé Guillem de Castro et Diamante, et nous lui avons rendu Corneille ; l’Angleterre nous a envoyé Locke et Pope, et nous lui avons rendu Voltaire !

Faudra-t-il s’arrêter ici, messieurs ? bornerons-nous l’étude des rapports de notre littérature avec les autres littératures à cette action mutuelle que je viens de signaler ? Non, messieurs, outre les rapports d’influence, il y a les rapports de comparaison. L’histoire littéraire a sa philosophie aussi bien que l’histoire sociale, et cette philosophie commence ici.

En effet, l’histoire est soumise aux conditions du temps et se