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LITTÉRATURE FRANÇAISE.

ni le Cid, ni Andromaque, ni Zaïre. Il a fallu, pour rendre ces chefs-d’œuvre possibles aux génies qui les ont conçus, que le sentiment chevaleresque, plante gracieuse entée sur un tronc germanique, jetât ses racines parmi les cendres tièdes encore de la civilisation romaine ; que, ballottée long-temps par les rudes tempêtes du moyen-âge, et de loin caressée d’une brise orientale, elle vint s’épanouir enfin aux éclairs de la fronde et au soleil de Louis xiv.

Jusqu’ici, messieurs, j’ai cherché à élargir et à élever le point de vue sous lequel nous devons étudier l’histoire de notre littérature. Peut-être ai-je déjà fait quelques pas vers le but. Peut-être vous apparaît-elle dans des proportions plus vastes qu’on ne l’a souvent montrée.

Mais nous ne devons pas nous arrêter là, et je suis loin de vous avoir indiqué les principaux aspects de l’étude dans laquelle nous allons nous engager.

En effet, messieurs, j’ai parlé jusqu’ici comme si la littérature française était la seule littérature au monde, comme si elle était sans rapport avec les autres littératures. Cependant ces rapports sont nombreux ; ils complètent son histoire.

La France, messieurs, n’est pas comme la Chine, comme ce pays isolé du monde, qui, derrière sa grande muraille, aux extrémités de l’Orient, a vécu sans ouïr qu’à peine tout le bruit de l’Occident, sans savoir qu’on parlait d’un Homère, d’un Alexandre, qu’un empire romain s’était élevé, qui, lui aussi, confondait son nom avec celui de l’univers ; tandis que, faisant elle-même aussi peu de bruit que possible, elle a duré quarante siècles à côté du genre humain sans qu’il l’entendît respirer. La France n’est pas ainsi ; la France, c’est tout l’opposé de la Chine. Bien que les Alpes et les Pyrénées, ses murailles à elle, soient plus hautes, et malgré le Rhin, fossé féodal qui borne son domaine, elle franchit assez volontiers murailles et fossés, et s’en va, glaive ou flambeau à la main, discours ou chansons à la bouche, tantôt adresser aux rois des enseignemens dont ils s’amusent, tantôt dire à l’oreille des peuples des mots qui les réveillent ; nation curieuse et facile, bien qu’un peu vaine et dédaigneuse, elle se fait raconter, moitié souriant, moitié ravie, les choses des pays étrangers ; puis revient les dire, à sa manière, à son humeur, avec son tour vif et rapide, de cette