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ouvrage plein de talent, mais le seul où Voltaire ait trouvé le secret d’être ennuyeux ? ou faudra-t-il nous résigner à la sentence qu’a prononcée sur nous je ne sais quel oracle obscur, et qui malheureusement ne nous a pas préservés de bien des tentatives malencontreuses : les Français n’ont pas la tête épique, ils n’ont pas et ne peuvent avoir d’épopée ?

Je serais assez disposé à me soumettre à l’arrêt, et j’en prendrais facilement mon parti, si une épopée était nécessairement un poème divisé en un certain nombre de chants, en général, douze ou vingt-quatre, contenant un olympe, un enfer, un dénombrement, taillé en un mot sur le patron de l’Iliade ou de l’Odyssée ; types de composition, pour le dire en passant, que l’on se transmet depuis trois mille ans de siècle en siècle sur la bonne foi des âges, et qui aujourd’hui, sans rien perdre de leurs droits incontestables à l’admiration du genre humain, font mine de se décomposer sous l’analyse de la critique en chants nationaux, poétiques effusions des populations primitives ; de sorte que, depuis Virgile jusqu’à Milton, jusqu’au Tasse, jusqu’à Klopstock, tous les poètes épiques anciens et modernes auraient composé leurs poèmes, et tous les auteurs de poétiques auraient posé les lois de l’épopée, d’après une donnée fictive, l’unité prétendue des poèmes homériques. Ainsi ces imitations ne seraient qu’une série de portraits qui ne ressemblent pas, copiés les uns sur les autres d’après un original imaginaire. Les choses étant ainsi, il me paraît qu’il n’y aurait pas lieu à s’inquiéter beaucoup pour savoir si un Français est parvenu à réaliser les conditions de ce modèle dont toute la réalité serait elle-même dans les contrefaçons qu’on en a faites. Peu importerait qu’un génie de plus eût été dupe de cette grande mystification des siècles.

Mais si la poésie épique est autre chose que le cadre convenu dans lequel on l’a jetée ; si c’est l’expression spontanée d’une civilisation héroïque se produisant par des chants qui circulent d’abord détachés parmi le peuple, et que plus tard des rapsodes assemblent en corps de poèmes, notre époque héroïque, notre moyen-âge a eu son épopée. La chevalerie française l’a inspirée et s’est exprimée par elle. Cette épopée du moyen-âge se compose de ces mille poèmes chevaleresques qu’on commence à tirer de la poussière