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avons-nous le droit de fermer l’oreille à leurs voix parce qu’elles furent plus rudes et plus franches ? Nous sied-il dans notre temps de n’avoir de sympathie que pour ce qui respire l’élégance des cours ? Dérogeons-nous donc à l’aristocratie de notre goût, en lisant le pamphlet du ligueur, la chronique du moine, le fabliau du conteur, la farce, dont au sein de ses labeurs, le menu peuple s’éjouissait ? nous faut-il absolument les pompes de Versailles ou de Saint-Cyr pour nous toucher ?

Nous négligeons trop nos richesses, messieurs ; les autres peuples ne font pas ainsi. L’Allemagne étudie son moyen-âge avec religion ; l’Angleterre regarde par-dessus le siècle de la reine Anne, le grand siècle de Shakspeare et de Milton. L’Italie ne date point des Médicis, mais de Dante. Elle a des classiques de presque toutes les époques, depuis 1300 jusqu’à nos jours Nous, cependant, nous nous rappetissons devant l’étranger ; nous nous appauvrissons par des épurations excessives ; nous ne savons opposer à toutes ces bandes formidables, à ces grands chefs dont quelques-uns, je le veux, sont un peu barbares, qu’un petit bataillon, admirablement discipliné il est vrai, des demi-dieux en tête… mais peu profond, et facile, sinon à rompre, du moins à envelopper. Il me semble, messieurs, que nous faisons pour notre littérature comme on fait pour sa ville natale, dont on néglige les curiosités, tandis qu’on en va chercher de moins rares au bout du monde. Je m’applaudirais au contraire, si la pratique des littératures étrangères m’avait enseigné à mieux connaître les richesses de mon pays.

Nous ne verrons donc pas toute la poésie lyrique de la France dans quelques stances de Malherbe, quelques odes de Rousseau et une strophe de Pompignan. Nous l’étudierons chez nos trouvères, disciples élégans des troubadours, et dont l’Allemagne et l’Angleterre n’ont pas dédaigné de répéter les chansons. J’oserai même prononcer le nom scabreux de Ronsard, et je discuterai sa gloire avec son spirituel vengeur ; je ferai, plein d’une admiration sincère, mais libre, la part du grand talent lyrique de M. Hugo, de la haute inspiration mélancolique et religieuse de M. de Lamartine ; en même temps je ne négligerai pas ce peu de chants populaires qu’on peut trouver encore au fond de quelque province écartée,