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sincérité que je me les suis faites, je l’avoue, l’opinion de M. Rossetti m’a ébranlé. Son livre contient ou une erreur ou un paradoxe. Dans le premier cas, il est indispensable de le combattre victorieusement ; dans le second, il faut avoir le courage et surtout le talent d’amener le paradoxe jusqu’à l’état de vérité. Je ne me suis pas senti assez fort pour commencer ouvertement l’une ou l’autre de ces entreprises, mais comme il se trouve en ce moment en France un assez grand nombre d’Italiens savans et lettrés, et que l’on compte même au nombre de nos compatriotes quelques hommes profondément versés dans la littérature italienne du moyen âge, j’ai pensé qu’une exposition impartiale du système de M. Rossetti sur l’esprit et la lettre des écrits de Dante, de Pétrarque et de Boccace, ferait naître l’idée de lire et d’étudier un livre écrit avec trop de bonne foi et d’érudition pour ne pas obtenir au moins les honneurs d’une critique sérieuse.

D’après les idées de M. Rossetti, il y aurait dans les poésies de Dante et de Pétrarque, ainsi que dans les romans de Boccace, quelque chose encore que ces hommes n’ont jamais entièrement exprimé dans leurs écrits latins. Il semblerait, à entendre le nouveau commentateur de la Divine Comédie, qu’une grande et éternelle vérité, partie de la bouche des Orphée, des Thalès, des Pythagore, et bondissant d’écho en écho jusqu’à nous, par l’intermédiaire des prophètes, de Platon, des sibylles, de Virgile et de Boétius, a été recueillie enfin, tenue voilée, mais exactement transmise aux générations modernes, par une succession de sectaires, comme les manichéens, les templiers, les patarins, les gibelins, les rosecroix, les sociniens, les swedenborgiens, les francs-maçons, et enfin les carbonari.

Ici il faut abandonner la question, jusqu’au temps au moins où des recherches nouvelles, mieux coordonnées et plus concluantes donneront lieu à un examen plus rigoureux et mieux approfondi. Qu’il y ait eu, aux xiiie et xive siècles en Italie, une espèce de conjuration contre les abus de la cour de Rome, et que pour exprimer des plaintes à ce sujet, et avec force, sans porter ombrage à l’autorité pontificale, on ait adopté un système de machines poétiques, une langue figurée, un argot, qui servissent de bouclier protecteur aux mécontens, on peut le croire, car l’ouvrage de M. Rossetti