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FANTASIO.

ce soir. Regarde-moi un peu cette vallée là-bas, ces quatre ou cinq méchans nuages qui grimpent sur cette montagne. Je faisais des paysages comme celui-là, quand j’avais douze ans, sur la couverture de mes livres de classe.

SPARK.

Quel bon tabac ! quelle bonne bierre !

FANTASIO.

Je dois bien t’ennuyer, Spark.

SPARK.

Non ; pourquoi cela ?

FANTASIO.

Toi, tu m’ennuies horriblement. Cela ne te fait rien de voir tous les jours la même figure ? Que diable Hartman et Facio s’en vont-ils faire dans cette fête ?

SPARK.

Ce sont deux gaillards actifs, et qui ne sauraient rester en place.

FANTASIO.

Quelle admirable chose que les Mille et une Nuits ! Ô Spark, mon cher Spark, si tu pouvais me transporter en Chine ! Si je pouvais seulement sortir de ma peau pendant une heure ou deux ! Si je pouvais être ce monsieur qui passe !

SPARK.

Cela me paraît assez difficile.

FANTASIO.

Ce monsieur qui passe est charmant. Regarde ; quelle belle culotte de soie ! quelles belles fleurs rouges sur son gilet ! Ses breloques de montre battent sur sa panse, en opposition avec les basques de son habit qui voltigent sur ses mollets. Je suis sûr que cet homme-là a dans la tête un millier d’idées qui me sont absolument étrangères ; son essence lui est particulière. Hélas ! tout ce que les hommes se disent entre eux se ressemble ; les idées qu’ils échangent sont presque toujours les mêmes dans toutes leurs conversations ; mais dans l’intérieur de toutes ces machines isolées, quels replis, quels compartimens secrets ! C’est tout un monde que chacun porte en lui ! un monde ignoré qui naît et qui meurt en silence ! Quelles solitudes que tous ces corps humains !