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la fin du xve siècle, a pour élément principal, on peut même dire unique, ce que l’on appelle l’amour platonique.

Un fait qui résulte des nombreuses recherches de M. Rossetti, mais sur lequel il n’a peut-être pas assez appuyé, c’est que tous les écrivains et poètes italiens de l’époque comprise entre les deux dates qui viennent d’être indiquées, et qui étaient Gibelins ou du parti de l’empereur, étaient érotiques platoniciens, tandis que les poètes guelfes au contraire, ceux qui, attachés aux intérêts du saint-siège, se hasardaient cependant à rimer en langue vulgaire, ne se servaient point de l’appareil poétique éroto-platonique. On en fournira une preuve unique, mais frappante et décisive : Brunetto Latini, le maître de Dante, était Guelfe ; or il a laissé deux écrits, l’un, le Trésor, espèce d’encyclopédie, et l’autre, il Tesoretto, poème moral où l’amour ne joue aucun rôle, ni comme principe, ni comme passion, tandis que Dante Alighieri, élève de Brunetto Latini, mais fougueux Gibelin, et fondateur en quelque sorte de la langue vulgaire de son pays, est, pour le fond des idées comme dans la forme de ses compositions et de ses phrases, l’écrivain le plus habituellement éroto-platonique de l’Italie. Or, avant les ouvrages de Brunetto Latini, on avait déjà fait une assez grande quantité de poésies érotiques ou gibelines, d’où il faut conclure, d’après le système de M. Rossetti, que l’auteur du Tesoretto a composé ses livres dans un tout autre esprit littéraire, parce qu’en sa qualité de Guelfe, il avait des opinions politiques contraires à celles des poètes platoniciens.

Ce que l’on peut observer facilement en étudiant les poètes et les écrivains italiens des xiiie et xive siècle, c’est que tous ceux qui ont écrit comme Brunetto Latini, quel que soit d’ailleurs le mérite littéraire de leurs ouvrages, parlent toujours au positif et sont en général simples et clairs, tandis que les poètes au contraire qui cultivaient la gaie science, qui disaient et rimaient d’amour, qui avaient une dame de leur intelligence, comme la Béatrice de Dante, la Laura de Pétrarque, la Fiametta de Boccace, et tant d’autres qui ont toutes méthodiquement charmé leurs amans pour la première fois pendant la semaine sainte, et sont toutes mortes peu après et toujours avant leurs amans ; ces écrivains, dis-je, ont produit des ouvrages dont les plus importans, les plus en vogue de leur temps