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de l’idéalisme allemand, et se mit à son aise à railler tout ce qu’elle avait aimé, à aimer tout ce qu’elle avait haï, à chanter avec Heine, comme le derviche au haut du minaret, la dernière heure, l’heure de minuit de ce jour de mille ans du génie germanique. Cette fois l’ironie ne se déguisait plus. Elle se tenait tête levée ; elle sifflait en plein air.

Sous leur forme insouciante et frivole, les poésies de Heine dont je viens de prononcer le nom ont en effet un vrai sens social. Il y a trente ans, on les eût réputées impossibles, et les imaginations vierges de ce temps-là n’auraient jamais supporté leur cruelle morsure. Il y a là telles petites chansons de dix vers qui portent innocemment dans leurs corolles, car ce sont de vraies roses des bois, un venin qu’il a fallu trois siècles au moins pour distiller à ce point. Ce sont des fleurs charmantes, ouvragées et peintes avec l’ancienne habileté de l’art tudesque et qui toutes dardent un aiguillon de basilic. Il y a là des sonnets transparens et purs à la manière de ceux de Pétrarque, au fond desquels vous voyez ramper le reptile ; des ballades qui cachent sous leur sourire, comme une femme sous son voile, leurs mécomptes et leurs poisons. Il y a des canzone folâtres qui vous prennent et vous bercent d’amour et vous noient à la fin dans un mot satanique ; car c’est là le caractère et l’originalité de ce poète, de vous faire boire l’amertume et la lie de nos temps sous l’expression et le miel des époques primitives : le siècle de Byron dans le siècle de Hans de Sachs. À tous les sentimens d’une société avancée il donne le rhythme populaire des sociétés qui commencent ; et ce désespoir qui emprunte la langue de l’espérance, cette mort qui parle comme la vie, ce berceau qui redevient un tombeau, ces passions vieillies et rassasiées qui se meuvent sur le mètre des passions naissantes, cette candeur et cette corruption, ce miel et ce fiel, ce commencement et cette fin qui se rencontrent et s’unissent dans l’étreinte de ces rapides poèmes, en font autant de petits chefs-d’œuvre d’art, de fantaisie, d’originalité et d’immoralité.

La plupart des poésies de Heine sont contenues dans un volume intitulé Livre des chants. Les premières datent de 1817. À cette époque le jeune poète appartient à l’école des Schlegel et de Tieck. C’est d’eux qu’il a appris la forme populaire et la naïveté que plus