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POÈTES ALLEMANDS.

que le génie de son pays est frère du génie platonicien, et que ruiner Alexandrie c’était ruiner l’Allemagne. Il voulait les vieilles mœurs, et il n’en voulait plus la foi ; il ne sentait pas que les cathédrales qui servent d’abris au protestantisme ont leurs fondemens posés sur les basiliques grecques, et les basiliques sur les temples, et les temples de Grèce sur ceux d’Orient, et que l’on ne peut pas toucher à l’une de ces assises sans que l’édifice infini de la foi humaine ne s’écroule en même temps. Il n’avait ni paix ni cesse qu’il n’eût rongé ces fondemens primitifs ; et il ne voyait pas sur sa tête les cathédrales qui se penchaient et tremblottaient comme des mâts de vaisseau dans l’orage, et menaçaient de l’écraser, lui et son méthodisme, sous leurs ruines. Et quand il avait décimé à son aise l’imagination allemande et mis au ban toute chimère, il se retirait en paix dans son idylle de Louise, et il vivait là en repos et sans remords, parmi ses longs hexamètres tout parfumés de fleurs de tilleul, sans s’inquiéter de rien, l’aveugle puritain qu’il était.

Le mal ne s’arrêtait pas là pourtant ; il gagnait la philosophie, et par elle il entrait décidément au cœur de l’Allemagne. La philosophie de la nature, cette aventureuse qui avait jusque-là mené toutes les destinées de ce pays, ne se sentait plus le cœur d’avancer. Après ses tentatives, n’en pouvant plus et défaillante, elle rentrait toute confuse dans le cercle du catholicisme et n’en voulait plus sortir. L’idéalisme de Schelling se sentait périr et demandait à se faire absoudre par le dogme. Une science mourante, une foi mourante, mises ensemble, et qui cherchent à se ranimer l’une l’autre ! Encore une fois l’histoire d’Héloïse et d’Abeilard qui s’embrassent dans leurs tombeaux. Il y a là encore à présent, à Munich, un héroïque effort, et tout semblable à celui de M. de Lamennais pour retenir la vie. Baader, Goerres, font la veillée du catholicisme et se consument à ranimer ce souffle. Ce n’est plus une religion, ce n’est plus une philosophie, ce n’est plus une poésie ; c’est le débris de tout cela ensemble, une science sans nom, une foi sans nom, une poussière divine. Pour cette poussière, creusez un grand tombeau ; il faut qu’il y puisse entrer sans gêne toutes les espérances, et les chimères, et les rêves, et le bonheur aussi de la vieille Allemagne.

Au nord, la philosophie de Hegel est morte aussi avec son chef,