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POÈTES ALLEMANDS.

Encore une fois, aujourd’hui, en est-ce fait vraiment ? le Nord nous a-t-il envoyé tous ses rêves ? ne recèle-t-il plus dans son ombre un seul nom, plus un seul songe, plus un fantôme d’amour ? Est-il sûr qu’il ne passera plus sur notre route une de ces gloires lumineuses, un de ces voyageurs qui ne touchaient pas la terre, et qui s’appelaient Scott, Byron, et qui nous apportaient à boire leur verre plein des larmes d’un autre climat ? Cela est-il sûr ? ou bien est-ce un signe seulement qu’il est temps pour nous de ne plus compter que sur nous-mêmes, que nous n’aurons plus d’abri pour nos rêves, hors ceux que nous nous bâtirons nous-mêmes, qu’il faut vivre désormais de notre substance à nous, et que le monde est déjà las de nous prêter ses ombres ?

Si je regarde du côté de l’Allemagne, la tristesse me saisit au cœur, et l’envie me prend de quitter déjà la plume ; car voilà ce grand pays, celui de la foi et de l’amour, devenu à son tour le pays du doute et de la colère. Ce serait une longue et cruelle histoire que celle du doute chez un peuple que La Divinité a si bien rassasié d’elle-même qu’il n’en veut plus goûter, et où le mysticisme aboutit au même endroit que chez nous le scepticisme. Ce serait une chose à montrer que ses efforts pour se retenir dans sa chute, et pour flotter encore quelque peu dans ses croyances ondulatoires avant de se noyer sans retour. Les mêmes combats que son Luther a soutenus pendant ses insomnies, la tête sur son chevet, criant, pleurant, soupirant, haletant, l’Allemagne les a, à son tour, endurés toute seule dans son lit, sous ses rideaux, dans cette longue insomnie de gloire qui commence par Frédéric, et finit par Goëthe ; car ce n’est pas en une heure qu’elle est venue où nous en sommes. Avant d’arriver à l’indifférence de tous les cultes, elle a essayé de tous. Elle a offert à toute chose son adoration ; et dans cette chute du ciel sur terre, tout lui a manqué sous la main et a croulé avec elle. Quand la lettre a chancelé, elle s’est réfugiée dans l’esprit, et l’esprit tout ruiné de mysticisme a fléchi à son tour. Là où la foi manquait, elle s’est mise à adorer la philosophie, c’était le temps de Fichte et de Schelling, et puis ce terrain miné a croulé dans le nihilisme de Hegel, et il a fallu se faire un autre dieu. Il y a eu aussi un temps où le patriotisme servait de religion, où l’on priait dans la bataille, où la foi se retrempait dans le