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affreuse que la tempête elle-même ! Quelque effrayant que soit l’éclair qui enflamme tout à coup le ciel au milieu des ténèbres profondes de la nuit, ou le sinistre roulement du tonnerre, dans cet éclair qui s’allume et s’éteint, dans le bruit qui gronde et se tait, il y a du moins de la vie ; mais ce silence, cette immobilité, c’est la mort. La mer n’était plus qu’une surface noire et compacte ; le ciel, une voûte de tombeaux, et les vents n’avaient pas même un soupir.

— Tom, me dit Splinter, madame Nature ressemble aux malfaiteurs : elle hésite avant de commencer l’œuvre de la destruction, comme ils tremblent avant le crime.

— Oui ; et il faut craindre son repos trompeur.

— Bonne philosophie, Tom.

Cependant nos moindres mouvemens retentissaient avec un bruit sinistre au milieu de ce silence de mort ; nos pas résonnaient d’une manière étrange ; la voix qui commandait, celle qui répétait l’ordre, semblaient un glas lugubre, jeté dans le néant, et nous aurions pu nous croire au-delà des siècles, au-delà de la vie, si nos cœurs, que nous sentions bondir et palpiter, n’avaient rappelé en nous le sentiment de l’existence.

— Regardez donc, capitaine, dit en ce moment le lieutenant Trinelle, en étendant la main vers un des points du ciel.

Nous tournâmes tous simultanément les yeux du côté que le lieutenant indiquait. À l’extrémité de l’horizon, une ligne blanche séparait en deux le dais de noires vapeurs que nous avions au-dessus de nos têtes. Cette ligne s’élargit, grandit soudain ; un brouillard épais nous aveugla ; un murmure lointain se fit entendre, et de larges gouttes d’eau, qui tombaient isolées sur nos visages ou sur le pont, nous annonçaient que l’orage avait enfin commencé. Alors les voix de la tempête se firent entendre ; le tonnerre gronda avec un bruit épouvantable ; les nuages s’agitèrent, se mirent en mouvement, comme déchirés tout à coup par une force invisible, et des vagues écumeuses, immenses, s’élevèrent de toutes parts. La cime de ces vagues, déchirée, emportée par le vent qui les parcourait, les poussait et les entraînait à sa suite, s’aplanissait sous cette force terrible ; on eût dit une herse de bronze comblant ces gouffres immenses, ces sillons profonds, et changeant la plaine inégale et tumultueuse de l’Océan en une surface plane, unie,