Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/331

Cette page a été validée par deux contributeurs.
327
SOUVENIRS D’UN OFFICIER DE MARINE.

— Une voile ! une voile sous le vent ! m’écriai-je de toutes les forces de mes poumons.

Un grand tumulte s’éleva alors sur le navire. Le capitaine, debout sur le tillac, me répondit

— Merci, Tom. Ah ! çà, quelle route suit-elle ?

— Sud-sud-est.

— Elle est dans nos eaux ; courage, garçons, ferme ! à l’ouvrage !

Et il commanda la manœuvre, dont le bruit cadencé formait un accord solennel et mélancolique avec les sifflemens du vent ; musique triste, monotone, lugubre, qui vibrait à mon cœur comme le dernier soupir de la vie.

— Est-ce vous qui rendez le dernier soupir ? dis-je, en essayant de plaisanter, au vieux contre-maître Nipper.

Il secoua la tête, et me répondit d’un ton chagrin

— Ne plaisantez pas, monsieur Cringle ; car, avant que le soleil reparaisse, quelqu’un d’entre nous, croyez-moi, emprisonné dans son hamac, ira visiter le fond de la mer.

— Allons, allons, Nipper, vous êtes un vrai prophète de malheur.

En ce moment, le navire que j’avais aperçu diminua, se raccourcit, s’abaissa, puis enfin disparut entièrement.

— Le Hollandais ! le Déserteur-Hollandais, s’écria l’équipage avec effroi. Voyez, il s’éloigne, il s’évanouit dans les ténèbres, comme une légère vapeur !

— C’est plutôt un bâtiment qui vient de virer, dis-je. Tenez, précisément, capitaine, le voilà qui reparaît ; voyez-vous ses voiles blanches, sur l’espace sombre de l’horizon ?

La chasse commença réellement alors.

Nous venions de virer, pour imiter la manœuvre du vaisseau étranger que nous voulions poursuivre ; bientôt la lune parut, et nous pûmes voir un grand schooner à si peu de distance de nous, que, si la brise eût été plus forte, nous nous fussions infailliblement brisés l’un contre l’autre.

Nous étions bons voiliers ; le vent soufflait du nord-ouest. Le capitaine, joyeux, se promenait sur le pont, donnant ses ordres, se frottant les mains ; l’équipage, en reconnaissant dans le vais-