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dois, frété pour le Hâvre. Après un examen minutieux, ne trouvant rien d’irrégulier dans les papiers du navire, nous le relâchâmes. Il s’éloigna, et quelques instans après une de ses chaloupes nous apporta une petite caisse remplie de pommes de New-York, que le capitaine américain offrait au capitaine de la Torche.

— Voilà des pommes diablement lourdes, Tom, me dit Trinelle.

— Je soupçonne fort qu’elles ont pris racine au Potosi.

— Si le capitaine nous en donnait quelques-unes pour dessert.

Selon toute apparence, cette caisse contenait des lingots. Le capitaine Deadye parut néanmoins plus mortifié que content de ce don ; mais le navire avait disparu.

Le lendemain, au point du jour, j’étais de quart.

— Des brisans ! des brisans : cria la vigie à la tête du mât.

— Des brisans ! répéta le lieutenant Splinter avec l’accent de la surprise, impossible ! Vous perdez la tête, mon pauvre Jenkins !

— Des brisans sous la proue ! nous allons toucher ! s’écria le maître d’équipage.

Le lieutenant Splinter, tout en jurant Dieu et le diable que ces deux hommes avaient la berlue, se précipita sur le gaillard, où je le suivis. Là, nous vîmes de grosses lames blanches, écumeuses, tourbillonnantes, qui venaient frapper notre proue.

— D’où diable cela peut-il venir ? s’écria le lieutenant ; il n’y a pas d’écueils dans toute cette partie de l’océan.

Cependant le bouillonnement de l’eau commençait à s’étendre d’une manière circulaire, et dans un diamètre de cent toises environ ; on eût dit que la mer était agitée par quelque convulsion intérieure. La colline d’eau marchait devant nous, et se gonflait, à mesure qu’elle avançait, avec un bruit, un bouillonnement étrange. Peu à peu elle prit la forme d’une immense colonne, qui s’éleva en tourbillonnant au-dessus de la montagne d’eau, sifflant, s’alongeant toujours, et touchant presque de sa tête aux nuages. C’était alors un spectacle admirable et sublime. Les reflets du soleil avaient coloré ce long pilier de cristal, et les couleurs de l’arc-en-ciel, qui s’y réunissaient comme dans un prisme, éclairaient le cône d’une vive lumière, tandis que sa base se montrait comme un socle d’ébène appuyé sur des flocons de neige.