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SOUVENIRS D’UN OFFICIER DE MARINE.

circulait dans le village ; des imprécations nous arrivaient de toutes parts, et il était temps que nous gagnassions la chaloupe, car une vingtaine de vauriens résolus, dont la masse augmentait sans cesse, nous entourait déjà d’un air menaçant.

Notre vaisseau était enfin recruté ; nous remîmes à la voile. Nos recrues eurent bientôt oublié totalement le mauvais tour que je leur avais joué ; ils en riaient eux-mêmes les premiers, car telle est la nature de l’homme de mer ; et quatorze jours après nous passions avec un convoi en vue de Madère, île superbe qui fuyait derrière nous avec ses montagnes vertes, boisées, magnifiques, avec ses villes toutes blanches et ses sites charmans.

À quelques semaines de là, la Torche croisait dans les parages des Barbades, où elle eut plusieurs combats à soutenir contre des corsaires français et américains. Une fois même elle faillit avoir un engagement avec un bâtiment de sa propre nation. Elle se trouvait dans les eaux de Nassau. — La nuit était belle, nous approchions ; et nos officiers, sachant qu’ils iraient à terre le lendemain, apprêtaient déjà leurs agrès, où, si on l’aime mieux, leurs habits, dans l’intention sans doute de capturer les beautés du pays, lorsque tout à coup une balle vint siffler dans nos cordages.

— Un petit schooner à l’avant, cria l’officier de quart.

On n’avait pas eu le temps de répondre, qu’une seconde balle frappa notre grand mât. Nous nous précipitons sur le pont ; on se presse à la manœuvre, et nous nous trouvons bord à bord du pygmée qui nous attaquait. Le capitaine prit son porte-voix.

— Schooner, amenez, ou je vous coule bas ; amenez pavillon pour le sloop de Sa Majesté britannique la Torche.

Cependant le pauvre petit schooner avait reconnu son erreur il portait les mêmes couleurs que nous. Son capitaine se rendit à notre bord, et on le tança d’importance.

— Une autre fois, monsieur, lui dit notre capitaine, mettez des lunettes, et ne prenez pas des Anglais pour des Américains.

Le lendemain soir, nous jetâmes l’ancre à Nassau, et presque immédiatement nous fîmes voile pour les Bermudes. Il y avait quatre jours que nous croisions sans rien rencontrer, lorsqu’on signala une voile sous le vent. Nous lui donnâmes la chasse, et quelques heures après nous l’abordâmes. C’était un bâtiment sué-