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Souvent il découvre des rapports imaginaires et voit des plagiats qui n’ont jamais existé. Ingénieux, mais chimérique, il a tous les défauts et toutes les qualités d’un commentateur habile.


Les Vies de Dryden et de Swift, les Esquisses des Romanciers, par Walter Scott, portent la trace vive de ce talent pittoresque, naïf, rapide, de cette sympathie bienveillante, de cette facilité gracieuse qui caractérisent l’écrivain dont nous parlons. Les divers accidens d’ombre et de lumière dont l’existence de ces hommes célèbres offre le tableau se reflètent avec éclat dans les pages de Scott. Il sait aussi prendre la dimension exacte des facultés intellectuelles de chacun, et les mesurer, pour ainsi dire, dans tous les sens. Comme biographe, il n’est pas précis, vigoureux, compacte et solide comme Southey, dans sa Vie de Nelson : mais il a de la variété et de l’élégance.

Je suis beaucoup plus satisfait de sa Biographie des Romanciers que de ses notices sur Swift et sur Dryden : sur Swift, l’homme du moment, le bel esprit, qui ne cherchait qu’à rabaisser tous les beaux esprits contemporains ; sur Dryden, dont les préfaces en prose ont tant de portée, d’énergie, et de pureté. Il y avait là deux chapitres brillans de notre histoire littéraire ; mais, selon nous, Walter Scott est loin d’avoir rempli sa tâche et d’avoir ajouté aux notes de Samuel Johnson le supplément que le public attendait.

Quant à Smollett, Fielding et Richardson, dont le grand critique ne s’était pas encore occupé, c’est chez Walter Scott qu’il faut chercher leur portrait dans toute son exactitude, dans tous ses détails. Il est difficile de rien ajouter à ce que Walter Scott nous apprend. Nous les voyons tels qu’ils ont vécu, avec les mœurs, le costume, le langage de leur époque. C’est précisément le degré de civilisation, de délicatesse, de raffinement qui régnaient alors. C’est la teinte précise et exacte de l’époque ; rien de plus, rien de moins. Maître de son sujet, admirable romancier, il les peint admirablement parce qu’il les comprend bien. Quelques touches lui suffisent, touches pleines de finesse et de force, étincelantes et hardies. En dix lignes il donne l’analyse et comme la quintessence de ces talens supérieurs. Peu semblable aux écrivains prodigues de mots et avares d’idées, il concentre en quelques paroles expressives et caractéristiques tout ce qu’il nous est nécessaire de savoir, tout ce que nous désirons connaître. Peut-être Southey l’emporte-t-il sur ce grand homme pour la pureté classique du langage ; peut-être la sagacité inexorable de Johnson atteste-t-elle un génie plus vigoureux. Quelquefois Scott s’écarte de son sujet ; les détails qu’il prodigue sont circonstanciés jusqu’à la minutie. Mais il a jeté tant d’intérêt sur son esquisse, le coloris en est si