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MÉMOIRES DE MIRABEAU.

time et son admiration à qui méritera de la ravir, on est tenté de redemander quelques-uns de ces beaux et purs grands hommes dont les actes ou les œuvres sont comme la fleur du sommet de l’arbre humain, comme l’ombre bienfaisante qui s’en épanche, comme le suc mûri qui en découle. Lassé de ces bruits sonores et des statues de tout métal debout sur leurs socles démesurés, on se rejette avec une sorte de faiblesse en arrière, et comme Dante en ses cercles sombres, on réclame un guide compatissant et à portée de la main : Oh ! Virgile, Térence, Racine, Fénelon, grands hommes et si charmans, pris au sein même et dans les proportions de l’humanité, où êtes-vous ? mais il en est un du moins qui vous représente. L’admiration, pour s’épanouir avec bonheur, doit se sentir aller vers des mortels de même nature, de même race que nous, quoique plus grands. Je veux, même dans ceux que le génie couronne, reconnaître et saluer les premiers d’entre mes semblables.

Et voilà pourquoi les vrais mémoires des grands hommes me paraissent avoir tant de prix. C’est que presque toujours les personnages qu’on s’est habitué à considérer d’après des types fantastiques et de convention, ou d’après les statues historiques qu’on leur a dressées, s’y montrent à nous sous un autre jour plus intérieur et souvent satisfaisant, meilleurs d’ordinaire que leur renommée, bons, ou tâchant par momens de l’être, avec leurs doutes, leurs variations, leurs infirmités, étant des nôtres à beaucoup d’égards, et comme tels, des moules à imperfections et à sentimens contraires et sincères. Cela ne les rapetisse pas à nos yeux, mais nous les explique et les ancre par bien des coins au cœur de la même nature. Ainsi Byron nous est clairement apparu à travers ses mémoires mutilés, mais véridiques encore. Ainsi la correspondance avec Mlle Voland nous a fait accepter presque sans mélange l’excellent Diderot. Ainsi Mirabeau sortira plus homme, et non moins grand homme à notre gré, de l’épreuve de cette nouvelle lecture.

La publication des lettres écrites du Donjon de Vincennes avait déjà révélé Mirabeau en plein dans la frénésie des passions et des sens, sous un jour romanesque, mais vrai, et que la postérité aisément pardonne. Ç’avait été le grand et inépuisable document jusqu’à cette heure, où les biographes avaient fouillé pour reconstruire