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voudrais que Diderot pût la voir et la lire. Le fils du coutelier, qu’animait l’amour du peuple, et qui écrivait pour lui, en était séparé cependant par le prix élevé de son encyclopédie ; et ce livre révolutionnaire s’adressait aux rois, aux grands seigneurs et à leurs maîtresses. De quelle joie ne serait pas inondé l’ardent ami de d’Alembert en voyant une encyclopédie à deux sous ! L’homme qui a écrit ces lignes : Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire ; si nous voulons que les philosophes marchent en avant, approchons le peuple du point où en sont les philosophes, pousserait un cri d’allégresse en voyant la science armée des moyens d’une infaillible popularité.

Une encyclopédie est le meilleur livre pour propager l’instruction, car, parlant au peuple, il faut lui dire non pas une chose, non pas une autre, il faut lui dire tout. Dans une encyclopédie, rien d’arbitraire et d’incomplet, puisqu’il n’y a d’autre ordre que l’universalité alphabétique des choses. En parcourant les vingt premières livraisons de l’œuvre que nous annonçons, en y puisant des notions saines, simples et savantes, nous n’avons pu songer sans reconnaissance aux fruits salutaires que portera ce livre répandu parmi le peuple. Figurez-vous un jeune artisan, d’un esprit encore inculte, mais grand, s’ignorant lui-même dans les obscurités de son génie, naïf, ouvert à tout, intelligent sans rien savoir, cherchant à la fois la science et la conscience de lui-même, et trouvant dans des feuilles, dont l’acquisition est permise à son modique salaire, le mobile de sa pensée, le rayon générateur qui doit la féconder : il pourra devenir mathématicien et astronome comme Tycho-Brahé, à la lecture des Éphémérides de Stadius, historien comme Thucydide pleurant à côté d’Hérodote, poète comme Milton au spectacle d’un Mystère célébré en Italie. Une encyclopédie est une provocation qui s’adresse au génie du peuple, qui descend dans tous les rangs, et tend un vaste réseau autour de la société, afin qu’aucun talent ne lui échappe.

Mais aussi une encyclopédie vraiment digne d’être populaire est une œuvre fort difficile à rédiger. Elle ne saurait être une compilation arrangée avec les lambeaux de l’Encyclopédie française du dernier siècle, et des encyclopédies anglaises et allemandes ; un assemblage d’emprunts mal cousus. Pour enseigner son siècle,