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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

répondit Michel-Ange, qu’il faille tant se réjouir de la naissance d’un homme, ni faire tant de fêtes à cette occasion. Ces fêtes et cette joie, on devrait les réserver pour la mort de l’homme qui a bien vécu. » — Il y a dans les Tristes d’Ovide une pensée pareille. — Comme un prêtre de ses amis lui reprochait de ne s’être pas marié : « De femme, répondit-il, j’en ai encore trop d’une pour le repos de ma vie ; c’est mon art. Mes enfans, ce sont mes ouvrages. Cette postérité me suffit. Laurent Ghiberti a laissé de grands biens et de nombreux héritiers ; saurait-on aujourd’hui qu’il a vécu, s’il n’eût fait les portes de bronze du baptistère de Saint-Jean ? Ses biens sont dissipés, ses enfans sont morts. Mais les portes de bronze sont encore sur pied. »

Vers la fin de sa vie il était tombé dans une mélancolie profonde, voici ce qu’il écrivait :

« Porté sur une barque fragile au milieu d’une mer orageuse, je termine le cours de ma vie ; je touche au port où chacun vient rendre compte du bien et du mal qu’il a fait. Ah ! je reconnais bien que cet art, qui était l’idole et le tyran de mon imagination, la plongeait dans l’erreur.

« Pensers amoureux, imaginations vaines et douces, que deviendrez-vous maintenant que je m’approche de deux morts, l’une qui est certaine, l’autre qui me menace ? Non, la sculpture, la peinture ne peuvent suffire pour calmer une ame qui s’est tournée vers toi, ô mon Dieu, et que le feu de ton amour embrase. »

On sait les magnifiques pensées inspirées à l’un de nos poètes les plus vrais et les plus purs par la lecture de ce touchant sonnet ; tout le monde a lu les pieux encouragemens donnés aux grands artistes qui doutent d’eux-mêmes et de l’avenir par l’auteur des Consolations.

Il serait curieux de connaître quel jour, à quelle occasion Michel-Ange écrivit ce lamentable sonnet. Les déceptions de l’amour humain l’avaient-elles rendu plus exigeant envers ses études chéries ? Demandait-il aux travaux de son art les joies qu’il ne pouvait plus trouver dans la tendresse et l’effusion ? Était-ce un souvenir de Vittoria Colonna, qu’il aima si long-temps d’un amour chaste et divin, et dont il pleura la mort avec des larmes si désespérées ?