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À cette époque, la vie de Michel-Ange présente une singularité remarquable. Il était dans la force de l’âge et du talent. Son nom grandissait, et d’unanimes suffrages le récompensaient de ses travaux. Tout à coup son génie se glace, sa main s’arrête. Il abandonne avec un profond découragement le marbre et le pinceau. Il se retire dans la solitude, il s’enferme avec la Bible et la Divine Comédie. Il se lamente et se désole, et traduit en sonnets plaintifs, en sombres élégies, sa tristesse désespérée. Il se retire des hommes qui venaient à lui, et il élève à Dieu son ame qui jusque là n’avait semblé vivre que pour l’art et la gloire.

Ni Vasari ni Condivi n’expliquent d’une façon satisfaisante ces brusques lacunes dans la vie jusque-là si pleine de Michel-Ange. Ils attribuent cette longue oisiveté à des circonstances purement extérieures ; les travaux lui auraient manqué. Pour un artiste médiocre, l’excuse pourrait être acceptée ; mais le nom de Buonarroti remplissait déjà l’Italie, et le marbre, en sortant de ses mains, était sûr de prendre place dans une église ou un palais.

Ne faut-il pas croire simplement que Michel-Ange, par une singularité commune aux plus grands génies, en était venu à douter de lui-même, à se défier de sa puissance et de sa volonté ? Ne s’est-il pas rencontré souvent dans la destinée des grands capitaines et des poètes des maladies de ce genre ? Il suffit d’avoir pratiqué pendant quelques années la société familière des caractères éminens et des vigoureux esprits pour s’arrêter à cette interprétation. Il n’y a que les sots qui ne doutent jamais d’eux-mêmes, et parmi les grands hommes ceux qui affirment sans relâche ne sont le plus souvent que des charlatans intéressés qui s’étourdissent du bruit de leurs mensonges.

Cette oisiveté douloureuse fut enfin interrompue par l’avènement de Jules ii. À peine monté sur le trône pontifical, le nouveau pape ordonne à Michel-Ange de venir à Rome. Après bien des pourparlers inutiles où la brusque impatience de Jules ii eut à combattre la fierté sauvage et l’inflexible volonté de l’artiste, ils arrêtèrent enfin d’un commun accord un projet magnifique, le tombeau de Jules ii. Le dessin fait par Michel-Ange, que la gravure nous a conservé, avait transporté le pape d’admiration, et aujour-