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Cette correction ingénieuse excita chez Laurent une admiration sans réserve. Dès ce moment il ne mit plus de bornes à sa libéralité, et il vit dans Michel-Ange son fils et son ami.

Le spectacle familier des chefs-d’œuvre de la statuaire antique, la société et la conversation des artistes et des savans les plus distingués, contribuèrent activement à développer chez Michel-Ange le goût des belles et grandes choses. Il trouva surtout dans l’érudition inépuisable d’Ange Politien une source féconde de réflexions et de souvenirs, et suppléa de cette sorte à l’insuffisance de ses premières études littéraires.

La mort de Laurent surprit Michel-Ange au milieu de ses travaux. Pierre de Medici ne recueillit que l’héritage de son père, mais ne montra pas pour les arts le même goût et la même intelligence. Il ne voyait dans les grands hommes réunis à sa cour qu’un délassement à ses occupations politiques et rien de plus. Un trait suffira pour le juger. Il était tombé à Florence une neige abondante, le duc eut la fantaisie d’employer Michel-Ange pendant une partie de l’hiver à lui faire des statues de neige. Il répétait à qui voulait l’entendre qu’il avait à sa cour deux hommes rares et prodigieux : Michel-Ange, et un coureur espagnol qui dépassait de vitesse le meilleur cheval de ses écuries.

Heureusement un homme éclairé, le prieur de l’église du St.-Esprit, commanda au jeune sculpteur un crucifix en bois, lui offrit un logement dans le couvent, et lui procura le moyen d’étudier l’anatomie humaine. Michel-Ange ne se laissa rebuter par aucun des détails de la science. Il comprit la nécessité de disséquer et de voir sur la nature même ce qu’il voulait apprendre, et ne voulut pas s’en fier aux livres et aux gravures ; et bien lui en prit, car il a dû à ses connaissances myologiques la meilleure partie de son étonnante supériorité dans la statuaire et la peinture.

Il n’avait pas attendu la disgrace des Medici pour renoncer à une protection ignorante. Ascanio Condivi raconte qu’un musicien, du nom de Cardiere, ami du jeune Buonarroti, eut une vision qui lui présageait l’exil des Medici. Le grand Laurent lui apparut pâle et gémissant, et lui ordonna d’avertir son fils des malheurs qu’il se préparait par son imprudence. Le songeur, on le pense bien, ne se souciait guère de la commission. Il fit part de son