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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

La supériorité du jeune élève ne tarda pas à éclater. Avec une fierté simple et hardie, il corrige les dessins de son maître ; non qu’il dédaigne les avis et les conseils : loin de là, il copie avec une précision scrupuleuse les modèles qu’il approuve et qu’il admire ; et Ghirlandaio, en voyant son empressement à l’étude, son ardeur au travail, ne songe pas à s’offenser d’un enseignement dont il profite.

On se tromperait singulièrement en rapportant à l’orgueil cette personnalité précoce, cette indépendance prématurée, à ce qu’il semble. Il aurait obéi sans réserve aux leçons de Ghirlandaio, s’il avait trouvé en lui ce qu’il cherchait avidement, la perfection et l’idéal de l’art. Aussi le vit-on, très assidu dans la célèbre chapelle del Carmine, dessiner à plusieurs reprises les peintures de Masaccio, consultées aussi par Raphaël.

L’envie et la haine ne manquèrent pas à l’élève de Ghirlandaio. Un de ses rivaux, Torregiani, se prit un jour de querelle avec lui et se vengea cruellement, en lui assenant sur le visage un coup de poing qui lui fracassa le nez et le défigura pour la vie. Torregiani fut exilé de Florence.

À cette époque, Laurent-le-Magnifique conçut le projet d’une école de sculpture. Il appela auprès de lui le jeune Michel-Ange, l’admit à sa table, lui donna un logement dans son palais. Cette protection toute paternelle permit enfin au jeune Buonarroti de cultiver librement un art pour lequel il avait toujours eu une prédilection marquée, et dont il avait sucé l’amour avec le lait comme il se plaisait à le répéter. Sa nourrice était la femme d’un sculpteur.

Les palais et les jardins de Laurent étaient pleins de fragmens antiques. Michel-Ange découvrit une tête de faune rongée et presque détruite. Il en fit une copie et restitua les parties absentes. Il ajouta au modèle des détails de son invention, il ouvrit la bouche du faune, il mit sur ses lèvres un rire luxurieux ; Laurent fut émerveillé de cette création inattendue. Tu as fait ce faune vieux, lui dit-il en plaisantant, et tu lui as laissé toutes ses dents. Ne sais-tu pas qu’il en manque toujours quelqu’une aux vieillards ? À peine le duc fut-il parti que Michel-Ange brisa une dent à son faune et lui creusa la gencive comme pour faire croire que l’alvéole était vide.