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REVUE. — CHRONIQUE.

termes dans lesquels il appuya la motion de M. Bignon, et qu’on dise s’il n’a pas rempli un devoir de conscience et de probité ? Quelle modération dans les paroles du ministre dont le cœur devait cependant déborder d’amertume et de chagrin ! M. Bignon s’était contenté de dire que dans le cas où il surviendrait des changemens qui altéreraient le mode d’existence de quelques nations ou les délimitations de leur territoire, la France ne pourrait reconnaître de tels changemens opérés en violation des traités, et qu’elle protesterait. M. de Broglie répondit qu’il pensait comme M. Bignon, et que le ministère s’efforcerait de faire ce que l’organe de la commission demandait. Un vif mouvement d’approbation de la chambre répondit aux paroles du ministre, et il se retira certain d’avoir bien agi, content de la chambre et justement satisfait de lui-même.

Le soir, quand M. de Broglie se rendit au conseil, la haute volonté qui préside aux affaires avait déjà exprimé aux ambassadeurs des grandes puissances la douleur que lui faisait éprouver le discours de M. de Broglie. M. de Broglie avait été complètement sacrifié dans cette conférence ; c’était, disait-on, un esprit fougueux qui portait une générosité de jeune homme dans les affaires, un homme de premier mouvement, un homme dangereux ; on dit même que dans l’impatience et l’humeur que causa son algarade, on était allé jusqu’à le traiter de pauvre honnête homme. D’après tout cela, on sent que M. de Broglie fut très mal reçu.

La séance fut animée, violente. M. Thiers, qui se garde bien de s’exposer aux épithètes qui avaient été lancées à M. de Broglie, entra, comme de raison, dans toutes les vues du maître, et jappa avec une ardeur inouie contre le ministre des affaires étrangères. Mais M. de Broglie resta inébranlable, et il défendit sa conduite et ses convictions avec la hauteur de vues et la noblesse d’esprit qu’on lui connaît, jusqu’au moment où M. Guizot le supplia de céder. Enfin l’ascendant de M. Guizot l’emporta sur la justice et la raison, et M. de Broglie promit de monter à la tribune le lendemain pour rétracter ses paroles de la veille.

On juge de la douleur qu’éprouva le ministre, et du combat qu’il se livra. Son discours du lendemain fut concerté avec ses collègues, un long discours auquel contribuèrent M. Thiers et M. Guizot, et que M. de Broglie n’eut pas la force de prononcer. On l’a entendu dire depuis que, déjà malade lorsqu’il monta à la tribune, la tête lui tournait en parlant, et qu’il ne songeait qu’au moment de descendre de cette brûlante sellette. On sait qu’il éprouva une congestion cérébrale en regagnant son banc, et que, sans d’abondantes saignées qui le sauvèrent, il eût payé de sa vie cette fatale condescendance.

Dans ce malheureux discours où la main qui mène tout se faisait sentir