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LE MARQUIS DE SANTILLANE.

Jean Clopinel. Michault écrivit aussi un grand livre de ballades, stances, rondeaux, lais et virelais, dont il mit beaucoup en musique. Othon de Granson, brave et vertueux chevalier, figura dans cet art avec élévation et avec agrément. Alain Chartier, illustre poète moderne, secrétaire du roi Louis de France[1], mit une grande élégance dans ses poésies ; il a écrit le livre des quatre dames, la belle dame sans merci, le débat du réveil-matin, la grande pastourelle, le bréviaire des nobles et l’hôpital d’amours, choses assez belles certainement et plaisantes à ouïr.

« Je préfère, sauf avis plus éclairé, les Italiens aux Français, en ce que ceux-là montrent dans leurs ouvrages un génie plus sublime, et qu’ils ornent leurs compositions d’épisodes d’une beauté surprenante ; mais je préfère les Français aux Italiens sous le rapport de l’observation des règles de l’art, dont les Italiens ne tiennent aucun compte, si ce n’est dans la mesure des vers et dans la rime. Ils mettent aussi leurs œuvres en musique, et ils les chantent avec une douceur pleine de variété : la musique leur est si familière, ils la manient si bien, qu’il semble que leur patrie ait donné naissance à Orphée, à Pythagore et à Empédocle, ces grands philosophes qui, par l’agréable mélodie et les douces modulations de leurs chants, apaisaient, dit-on, non-seulement la colère des hommes, mais même celle des furies infernales. Et qui doute que, comme les feuilles garnissent au printemps et couvrent de leur verdure la nudité des arbres, la douceur de la voix et la beauté des sons n’accompagnent pas bien toute espèce de poésie, quelle qu’elle soit ?

« Les Catalans, les Valenciens et quelques Aragonais ont cultivé et cultivent encore cet art avec succès. Ils composèrent d’abord des poésies en grands vers, où la consonnance de la rime n’était pas toujours observée[2]. Après cela, ils firent usage de vers de dix syllabes à la manière des Limousins. Il y eut parmi eux des hommes distingués aussi bien pour l’invention que pour la

  1. Louis xi ne monta sur le trône qu’après la mort de Santillane. Il y a donc ici erreur.
  2. La poésie espagnole admet des rimes consonnantes, et des rimes assonnantes, c’est-à-dire des rimes à voyelles semblables, mais à consonnes différentes.