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pour l’écraser, et la manière indiscrète dont il exprimait son opinion irrita contre lui plusieurs personnes dont la voix faisait loi. Il en résulta que Hazlitt fut apprécié au-dessous de sa valeur réelle, et qu’on ne le considéra que comme un amateur de paradoxes, capable seulement d’exprimer avec esprit des idées étranges ; cependant il avait de l’imagination, de la sensibilité, et savait mieux qu’un autre découvrir les véritables beautés d’un poème.


Thomas Carlyle a joint l’esprit de la critique allemande à celui de la critique anglaise : ses articles, malgré quelques écarts bizarres, abondent en passages pleins de force et de naturel, et attestent un esprit pénétrant, profond et philosophique.


Thomas Babington Macaulay a de grandes qualités ; il est peut-être le seul de tous les critiques du nord qui joigne une grande force d’imagination à une profonde sagacité, un sentiment tendre et touchant à un style piquant et ironique. Il est quelquefois plus éblouissant qu’exact, et on peut l’accuser tout à la fois de ne point apercevoir des beautés qui existent et d’en trouver qui n’existent pas. C’est lui qui a contribué à introduire l’urbanité dans l’Edinburgh Review, dualité dont ce recueil était entièrement dépourvu ; nous n’avons plus de ces numéros où l’injure se mêlait à la calomnie, où le génie était traîné dans la boue, tandis qu’un âne se mettant à braire du côté whig de la Chambre, était érigé en idole. Cette Revue elle-même a cessé d’être un épouvantail pour les jeunes auteurs. Les libraires ne forment plus leur opinion d’après elle, et un écrivain ne voit plus sa réputation souffrir de ses attaques. L’impatience du public ne lui permet plus d’attendre pour juger un livre le retour trimestriel d’une Revue ; à peine les feuilles de l’ouvrage sont-elles sèches qu’un millier de mains s’en emparent avidement ; et lorsque les savantes observations de Macaulay paraissent, ou le livre a réussi, et alors il n’a plus besoin d’aide ; ou il est tombé, et il se trouve hors de l’atteinte de la critique.


Gifford eut pour collaborateur les premiers talens de son époque ; leurs sentimens généreux, leur profond savoir et leur vaste génie mêlèrent des fleurs et des fruits aux ronces qu’il y semait. John Wilson Croker égala, s’il ne surpassa pas, Gifford en sorties piquantes et en sarcasmes amers ; il donna de bonne heure des preuves de ce genre de talent, dans son poème sur le théâtre irlandais ; il déploya une grande puissance d’argumentation dans ses discours, et approcha de Scott pour le mouvement poétique.

Lorsque la vieillesse et la décadence du talent eurent forcé Gifford à la