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contentait pas de rendre un auteur ridicule, il s’attaquait à sa personne, et cherchait à en faire un sot, un coquin, ou un athée. Nous trouvons cette critique digne de pitié, si nous reportons nos souvenirs sur la naissance et sur les premiers temps de la vie de ce critique. Quoique mousse autrefois, non sur les mâts orgueilleux d’un vaisseau de ligne, mais sur un bateau de charbon ; quoique cordonnier autrefois, non de ceux qui, créateurs, ornent nos pieds d’une chaussure élégante, mais de ceux qui en réparent les accidens, il ne s’intéressait point à un génie qui, d’une position aussi humble que la sienne, cherchait à arriver à la célébrité. Pour lui, Bloomfield n’était qu’un cordonnier ; Barns, qu’un laboureur écossais ; Hogg, qu’un berger, dont les vers étaient empreints de l’odeur de son troupeau. Pourtant il parla avec une bonté inattendue de Clare, le paysan du comté de Northampton ; imitant sans doute la grande dame dont parle Pope, qui paya un jour un de ses marchands, afin de jouir de sa surprise. Quoique Gifford dût son éducation à la charité d’un voisin et à la bonté presque miraculeuse du comte de Grosvenor, il n’avait aucune pitié pour les étudians nécessiteux, excepté quand son intérêt ou celui du Quarterly l’exigeait. Il se conduisit avec plusieurs des anciens whigs comme Polyphême avec Ulysse, les épargnant pour le moment, afin de s’en nourrir lorsqu’une chair plus délicate lui manquerait. Mais qu’un jeune whig, ne faisant pas partie de sa coterie, osât mettre le pied sur le Parnasse, Gifford lui courait sus de toute sa force et de toute sa vitesse ; puis, fixant sur lui ses yeux de serpent à sonnettes, le fascinant, l’attirant, le dévorant d’avance, sans qu’on s’aperçût qu’il approchait, il s’élançait sur lui à l’improviste, l’étreignait comme un boa, et, brisant ses os, faisait disparaître jusqu’au dernier vestige des victime. Le Quarterly offre cependant des exemples d’admirable et de juste critique ; on y trouve d’excellentes dissertations sur l’ancienne poésie anglaise et sur la littérature dramatique ; là, Gifford était sur son terrain et dans toute la force de son talent.


Parmi les principaux officiers de l’état-major de Jeffrey, lors Brougham mérite de figurer en première ligne. Ses connaissances sont étendues, et son génie est d’un ordre élevé ; il n’est peut-être pas d’homme vivant qui sache autant que lui, et son activité est égale à ses talens. Ce que les autres acquièrent par l’étude, il le saisit d’inspiration ; et ceux qui se présentent à lui pour lui dévoiler quelque secret dans les sciences ou dans la littérature s’aperçoivent bientôt qu’il le connaît déjà ; que dis-je ? qu’il l’a étudié en détail, et qu’il est tout prêt à l’expliquer aux autres. Lord Brougham a pénétré à travers la surface de chaque chose, il paraît familier avec l’esprit et l’essence, comme avec la forme extérieure de l’objet