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à un auditoire ordinaire, ce sont des ouvrages incomplets. Lorsqu’un orateur parle dans une assemblée, il amplifie et se répète, car il sent le besoin d’être compris ; quand il s’aperçoit qu’on ne le suit pas dans sa marche, il se rapproche de la terre, et tient le langage le plus propre à se faire écouter ; il n’en est point ainsi de nos auteurs dramatiques. Ils comptent trop sur l’indulgence des spectateurs : tantôt ultra-poétiques, tantôt abstraits, tantôt mystiques, ils parlent en général comme gens qui ne veulent pas être compris. Ils s’adressent à la lune, aux élémens ; ils parlent de tout, excepté de ce qui a rapport à la pièce, puis ils s’étonnent de n’être point goûtés. Les drames de Byron fourmillent d’erreurs semblables ; ils ne manquent point de force dramatique ; le style en est souvent concis et énergique ; les situations sont belles et intéressantes. Eh bien ! malgré toutes ces qualités, ils ne font point d’effet à la représentation. Il est vrai que le poète a écrit qu’il ne les destinait point pour la scène. Byron combat aussi pour les unités, et déclare qu’elles sont essentielles à l’existence du drame. À cet égard je ferai observer que Shakspeare est parvenu à se passer d’elles, à écrire des drames admirables, et que personne ne les regrette ni ne s’aperçoit qu’elles manquent. Byron était peut-être le plus mauvais critique de son temps ; ses opinions sont généralement fausses, surtout lorsqu’il les émet avec tant d’assurance.

Ses drames, bien qu’il ne les destinât pas à être joués, ne sont pas en petit nombre Manfred, Marino Faliero, Sardanapale, les Deux Foscari, Caïn, etc. Dans la première de ces pièces, on trouve des scènes vraiment sublimes ; il y règne un mystère qu’il est plus facile d’admirer que d’expliquer ; c’est dans le fait un être hideux ; on frémit à la lecture de ses monologues, et l’on se détourne avec dégoût des sombres et horribles idées qu’il exprime. La voix publique a condamné Marino Faliero : c’est une répétition de Venise sauvée. On ne peut nier qu’il ne s’y trouve de beaux passages, aucun ouvrage de Byron n’en est dépourvu ; il y a même des discours d’une éloquence rare ; mais par momens le style devient plat et discordant. Sans doute le bas peuple peut et doit employer des expressions vulgaires ; mais on y trouve des personnages marquans qui se servent d’un langage qui n’est rien moins que poétique.

Sardanapale est jeté dans un autre moule. Il est voluptueusement poétique ; la richesse du style est en harmonie avec le caractère du prince. Le monarque assyrien, au moment du danger, s’arrache de ses coussins parfumés et des bras de ses femmes, il pense et agit en héros. Il a été représenté non-seulement comme efféminé, mais comme vicieux, et l’on ne s’en aperçoit plus au moment du danger ; ses meilleurs serviteurs lui restent fidèles, les plus nobles de ses maîtresses l’adorent, et il dirige son