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distinction, sans moralité. En littérature comme en politique, le parti le plus prudent aujourd’hui est assurément d’être neutre ; consultez là dessus le juste-milieu ; mais c’est le parti le moins noble et le moins poétique. Une révolution a été faite aussi dans le drame ; toute forme est acquise à la pensée ; à elle de se produire maintenant, libre, grande, généreuse, sociale. Ôtez Dieu du monde, que reste-t-il ? Une sphère. Ôtez l’ame de l’homme, qu’avez-vous ? Une machine. Ôtez la pensée du drame, que devient-il ? Une farce. L’incontestable supériorité du théâtre français jusqu’ici, malgré ses formes étroites et sa livrée païenne, c’est l’unité chrétienne, le catholicisme de la pensée. Ne sommes-nous pas un peuple missionnaire ? Tous nos grands hommes ont été sociaux, européens, universels, avant Corneille comme après Voltaire, depuis Charlemagne jusqu’à Napoléon. Hommes du drame, hommes d’imitation, hommes d’imagination, soyez donc de votre patrie ; à toutes vos conquêtes sur l’étranger, à toutes vos créations originales, donnez le baptême d’une idée et la consécration du génie français.

Que si maintenant on nous demandait de résumer l’homme, comme nous venons de résumer l’artiste, nous le ferions avec la même franchise. Au reste, ce serait peu de chose à ajouter aux différens traits épars dans ces quelques pages. M. Dumas, nous l’avons déjà dit, est une des plus curieuses expressions de l’époque actuelle. Passionné par tempérament, rusé par instinct, courageux par vanité, bon de cœur, faible de raison, imprévoyant de caractère, c’est tout Antony pour l’amour, c’est presque Richard pour l’ambition, ce ne sera jamais Sentinelli pour la vengeance ; superstitieux quand il pense, religieux quand il écrit, sceptique quand il parle ; nègre d’origine et français de naissance, il est léger même dans ses plus fougueuses ardeurs, son sang est une lave et sa pensée une étincelle ; l’être le moins logicien qui soit, le plus antimusical que je connaisse ; menteur en sa qualité de poète, avide en sa qualité d’artiste, généreux parce qu’il est artiste et poète ; trop libéral en amitié, trop despote en amour ; vain comme femme, ferme comme homme, égoïste comme Dieu ; franc avec indiscrétion, obligeant sans discernement, oublieux jusqu’à l’insouciance ; vagabond de corps et d’ame, cosmopolite par goût, patriote d’opinion ; riche en illusions et en caprices, pauvre de sagesse et d’expé-