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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

mun ; mais de l’arrestation de Buridan, à la porte du Louvre ; mais de la belle scène de la prison où Marguerite trouve un complice dans Buridan, et l’amant de sa jeunesse dans sa victime ; mais de cette plaisante causerie de Buridan, où il apprend de Landry que ses deux fils, les fils de Marguerite, sont Philippe et Gauthier d’Aulnay, Philippe, mort assassiné en sortant des bras de sa mère, à la Tour de Nesle, et Gauthier qui s’y rend pour subir le même sort ; mais enfin, de la scène si déchirante où le père et la mère, Buridan et Marguerite, causes et victimes du meurtre de Gauthier, assistent à sa mort sans pouvoir l’empêcher, et reconnaissent leur fils quand ce n’est plus qu’un cadavre ; mais de toutes ces situations, mais de toutes ces choses, pas un mot, pas de trace, pas de soupçon dans le manuscrit de M. Gaillardet. Bien entendu qu’il est aussi innocent, et du plan qui est si large, et de la charpente qui est si légère, et de l’intérêt qui est si vif.

Quoi qu’il en soit, et malgré l’immense succès de cette pièce, représentée pour la première fois au théâtre de la porte Saint-Martin le 29 mai 1832, c’est une dure leçon pour M. Dumas que les suites scandaleuses de cette collaboration. L’art est un sacerdoce : il doit l’être aujourd’hui surtout que les autres s’en vont. Le poète doit se garder pur de toute alliance profane ; il y a simonie, il y a sacrilége à se prostituer ainsi au premier venu, et à compromettre un beau nom dans de semblables marchés. En toutes choses, même littéraires, on doit consulter, avant d’agir, le démon familier de Socrate.

Oui, mais comment l’écouter quand un autre plus puissant, celui du besoin, par exemple, vous crie incessamment à l’oreille ? On n’a jamais parlé autant d’art que maintenant. Pourquoi cela ? Parce que l’art est devenu une véritable prostitution du talent au plus offrant et dernier enchérisseur ; parce qu’au lieu d’être une religion pleine de privations et de sacrifices, avec ses récompenses futures et ses immortelles espérances, ce n’est plus qu’un ignoble bureau de change, où l’on escompte la gloire en billets de banque, et où l’on troque son ame contre de l’or, — de la boue pour du métal ! parce que la foi de l’artiste, qui devrait être un culte désintéressé, persévérant au beau, splendeur du vrai, n’est, chez les uns, qu’un fétichisme grossier, sans intelligence, et, chez la plu-