Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/158

Cette page a été validée par deux contributeurs.
154
REVUE DES DEUX MONDES.

ou du moins se résume par deux femmes : Agnès Sorel et Jeanne d’Arc.

Il nous reste encore à parler de la Tour de Nesle. C’est toute une histoire que la biographie de cette pièce. Sa généalogie est un problème, et sa naissance une énigme. D’après l’axiome is pater est quem nuptiœ demonstrant, c’est-à-dire celui-là est l’auteur que l’affiche proclame, M. Gaillardet en serait le père. Mais à l’allure de l’enfant, à son langage, à d’autres ressemblances, le public soupçonna M. Dumas d’adultère, et l’accusa de paternité. Grand désappointement de M. Gaillardet, qui, pour se venger du public, l’appela devant le tribunal du commerce en la personne de M. Harel. Si, ce jour-là, le bon La Fontaine avait remplacé le président, il s’en serait référé à sa fable, les Abeilles et les Frélons. M. Dumas était connu : M. Gaillardet s’est fait connaître depuis ; il a fait Struenzée !

Ayant à juger cette pièce, la Tour de Nesle, j’ai voulu pénétrer le mystère qui enveloppait son berceau. Ne pouvant, en bonne justice, m’en rapporter ni à M. Dumas, ni à M. Gaillardet, je ne devais croire qu’à des témoins irrécusables. Or, deux manuscrits m’ont été confiés : celui de M. Gaillardet, fatras indigeste, prodige de confusion, et celui d’un de nos plus habiles écrivains, qui a perdu à débrouiller ce chaos plus de temps qu’il ne lui en aurait fallu pour faire dix feuilletons qui eussent été dix tout petits chefs-d’œuvre. Eh bien ! dans cette pièce ainsi clarifiée, M. Dumas n’a pris, comme situations, que deux choses : l’orgie à la Tour de Nesle, et la scène du Bohémien à la cour de Marguerite. Des neuf tableaux dont se compose la pièce que le public connaît, voilà les deux seuls que M. Gaillardet puisse revendiquer. Encore ici, M. Dumas a, comme dit Socrate, suppléé au mérite de l’invention par celui de la disposition. À M. Gaillardet revient aussi l’idée première, le courage d’avoir fait un drame ? — non pas, — mais quelque chose d’inqualifiable, avec les infamies de la Tour de Nesle et l’évasion d’une victime des royales débauches de Marguerite de Bourgogne et ses deux sœurs. L’entrevue de la reine et de Buridan à la taverne d’Orsini lui appartient encore ; je dis la rencontre et non la scène. Mais de l’exposition claire et attachante où Buridan et Philippe d’Aulnay font connaissance et s’apprennent leur rendez-vous com-