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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

de la plaine. Ce sera moins de grandeur ; mais plus d’intérêt. On admirera moins ; on pleurera davantage. La fable gagnera en sentimens ce qu’elle pourrait perdre en pensées. Le poète étudiera les vivans après les morts. Après avoir fait de l’anatomie, il fera de la physiologie. Au lieu de ressusciter ceux qui ne sont plus, il peindra ceux qui sont : œuvre moins grande, moins divine sans doute, mais plus humaine, en ce sens que tous peuvent l’essayer, mais plus difficile, en ce sens que tous peuvent la juger. Peu lisent dans le passé, tous voient dans le présent. Vous pouvez bien, avec la féerie de vos décors, le carnaval de vos costumes, et l’étrangeté de votre jargon, en imposer quelquefois au public ; vous pouvez bien, travestissant les morts à votre caprice et calomniant leur mémoire à votre fantaisie, faire passer Henri de Guise pour un assassin sans ame, Marie Tudor pour une maîtresse sans honte. Aux yeux de la foule, l’histoire est comme un firmament, où les grands noms forment autant d’étoiles, qu’on ne distingue guère les unes des autres qu’au télescope de la critique. Mais abaissez votre ciel, et descendez sur la terre ; mais encadrez votre fable dans un de nos salons ; mais donnez à vos personnages notre langage et nos costumes, aussitôt le public devient critique instruit et juge compétent.

M. Dumas est sorti vainqueur de cette épreuve, il a prouvé qu’il comprenait, ou plutôt qu’il sentait les hommes d’aujourd’hui mieux que ceux du moyen-âge : témoin Antony, que nous venons de résumer ; témoin aussi, mais à un moindre degré, Térésa, dont nous allons dire un mot.

Térésa, jouée dans les premiers mois de 1832, est le pendant, la queue d’Antony, non pas dans les pensées, dans l’intention de l’auteur, il ne s’en doutait probablement point ; mais dans la logique des faits, dans la génération des idées. C’est un autre corollaire du même principe ; c’est le second dénouement du même drame, c’est une variation sur le même thème, l’adultère : il y en a bien d’autres, malheureusement ! — Faut-il prouver ce que j’avance ? Prenez la première de ces deux pièces au dernier acte, à cette scène si dramatique et si déchirante où Antony, le sombre et fier Antony, vient apprendre à la tremblante Adèle que son époux arrive. Eh bien ! supposez à Antony moins d’amour, moins de jalousie, moins de courage ; à Adèle moins de pudeur, moins de remords, moins