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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

surtout sont d’un poète énergique et puissant. Enfin Christine me paraît l’œuvre de M. Dumas la plus forte de conception, mais non d’exécution ; la plus consciencieuse, quoique la moins finie ; en un mot, la plus défectueuse et la plus élevée.

Voici maintenant la plainte la plus amère de la passion contre la société, le plaidoyer le plus dramatique de M. Dumas contre son siècle ; voici sa plus grande gloire dans le présent et son plus grand crime dans l’avenir.

Il y avait une communauté de familles, et dans cette communauté, une loi inviolable entre toutes, une institution admirable entre tant d’autres : — le mariage.

Deux êtres se prenaient par la main et allaient devant Dieu se jurer foi et fidélité, et les hommes ne séparaient pas ce que Dieu avait uni. Nul autre divorce que la mort.

Des couples mal assortis, malheureux, il s’en trouvait déjà sans doute ; mais comme pour eux la vie n’était qu’une épreuve, et le mariage qu’un moyen, ils souffraient avec patience ; car, au bout de leurs souffrances, il y avait la mort ; ils portaient avec résignation le fardeau de la vie, car au bout du chemin il y avait le ciel :

La mort, lieu de réunion où ceux qui s’aimaient se donnaient rendez-vous pour s’aimer encore !

Le ciel, lieu d’amour où ceux qui n’avaient pu s’entendre dans le temps venaient se réconcilier pour l’éternité !

Et puis, de l’homme à la femme, il existait un lien, un médiateur, — l’enfant. Épouse infortunée, la mère trouvait dans son fils la foi du bonheur et l’espérance de l’immortalité.

Or, dans cette communauté de familles survinrent des calamités, des perturbations dont je ne veux maintenant vous rapporter que celle-ci :

Ce fut comme une violente tempête qui fit perdre à l’arche des nations son gouvernail et la vue du firmament, son point de départ et le but de son voyage.

Si bien que les hommes se prirent à aimer le temps pour le temps et la vie pour la vie. La traversée devint un terme au lieu d’un passage, le mariage un but et non plus un moyen.

On prit le hasard pour guide et le plaisir pour dieu.