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et posant avec crainte le pied sur le seuil de la porte. Depuis ses dernières pensées, Mlle Delphine Gay, devenue Mme de Girardin, a fait bien des expériences ; elle reparaît devant le public, dépouillée de beaucoup d’illusions. On sent à son style que sa vie est devenue plus positive ; la teinte vague de ses vers, leur forme doucement indécise a disparu pour faire place à des expressions plus spirituelles que poétiques, il faut le dire, à un tour d’esprit plus piquant qu’élevé. Il est évident que dans son poème de Napoline, le poète a voulu se rapprocher du monde, se laver du reproche de poésie. La muse s’est faite femme, mais femme charmante, impérieuse, tendre, expansive et souvent un peu maligne. Mme de Girardin affecte aujourd’hui le vers brisé, saccadé, sautillant ; et comme elle écrit avec une facilité rare, elle a fait passer dans son poème tout le laisser-aller et la verve d’une brillante conversation. Nous relisons cependant les poésies touchantes de la jeune fille, et la femme du monde, tout aimable qu’elle est, ne nous les fera pas oublier.


M. d’Arlincourt vient de faire paraître un roman historique, Le Brasseur-Roi, Chronique flamande du quatorzième siècle[1]. M. d’Arlincourt ne se défend pas d’avoir voulu présenter des allusions politiques à ses lecteurs. Il le dit ouvertement dans sa préface : « Il y a là autre chose que des évènemens à lire : il y a des renseignemens à puiser ; il y a des prophéties à entendre. » Nous ne transcrirons pas le reste de la préface de M. d’Arlincourt, dont la violence manque le but en frappant trop fort, et qui se termine ainsi : « S’il existait en ce moment, n’importe où, quelque usurpateur en Europe, qu’il se garde d’ouvrir ce livre, il pourrait s’y voir et frémir. » Il existe en Europe plusieurs de ces personnages qu’on nomme des usurpateurs, et qui sont des souverains à tout aussi bon titre que ceux qui se disent légitimes. L’un de ces usurpateurs, don Miguel, occupait, il y a peu de temps, le trône de Portugal ; et un autre usurpateur, Louis-Philippe, occupe en ce moment le trône de France. La couronne d’Espagne est usurpée, à l’heure qu’il est, par une petite fille de quatre ans ; le trône de Belgique est aussi occupé par voie d’usurpation, ainsi que celui de Suède et de Norwège. Or deux de ces usurpateurs, la reine Christine et don Miguel, ne savent pas lire ; quant aux autres, nous pensons qu’ils liraient sans frémir le livre de M. d’Arlincourt, et qu’ils le trouveraient fort amusant. Le Brasseur-Roi est le fameux Artevelle qui exerça une sorte de royauté dans les Pays-Bas, et qui fut tué dans une émeute. M. d’Arlincourt, qui écrit dans un esprit de parti, a singulièrement altéré le caractère d’Artevelle.


F. BULOZ.
  1. Deux vol.  in-8o, Dupont, éditeur, 16, rue de Vivienne.