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REVUE. — CHRONIQUE.

peut s’adresser avec confiance, dit-il, au cheïk de Karnac, nommé cheïk Aouéda, homme de sens, probe, ayant une grande influence dans le pays, et Français dans l’âme. » Champollion avait, on le voit, tout prévu, tout préparé.

Il veut que les ouvriers arabes soient payés directement par les cheiks, et défendus contre la rapacité des agens subalternes ; il dit qu’il faut être juste et ferme avec les Arabes, si l’on veut réussir, et montre en toutes choses une connaissance admirable du pays. Ce rapport est un morceau précieux, et mériterait d’être placé dans les fondations sur lesquelles va s’élever l’obélisque.

En 1830, en 1831, Champollion continua de correspondre avec les ministres pour cette affaire, et de porter partout sa haute expérience et ses lumières. M. de Verninac, officier distingué, ami de Champollion, à qui fut confiée cette expédition, n’eut qu’à se louer d’avoir suivi ces instructions et ces conseils.

À son retour, le génie qui l’avait éclairé était éteint. Champollion avait succombé sous des travaux inouis, et il semblait qu’il eût envoyé chercher une pierre pour sa tombe en cette terre, l’objet de toutes ses études, de toutes ses pensées, et qui avait causé sa mort prématurée. Mais nous ne vivons pas dans un pays où l’on honore ainsi la mémoire des savans. Le nom de Champollion le jeune ne se trouve seulement pas dans ce musée égyptien qu’il a fondé, et qu’il a doté, avec un rare désintéressement, de tant d’objets précieux qui lui appartenaient. Son buste avait été promis à ses amis et aux nombreux admirateurs de son beau génie et de son beau caractère ; on n’a pas pris la peine de ramasser un morceau de marbre, et d’appeler un sculpteur pour le faire exécuter. Et cependant le ministère ne sait que faire de ses sculpteurs, ni à quoi employer ses blocs de marbre. Mais pendant que les envieux de Champollion s’agitent, et qu’on cherche à bannir son souvenir des galeries du Louvre où il a déposé tant de trésors, les étrangers, plus justes, lui élèvent le monument que sa patrie lui refuse. On lisait, il y a peu de temps, dans l’Anthologie de Florence : « Ce que n’a pas fait la France, l’Italie le fait du fond de son cœur et avec un amour sincère » (lo fa, e di buon animo e con sincero amore l’Italia). L’inscription suivante a été placée sur une table de marbre, dans le musée de Turin, en mémoire de Champollion le jeune.


HONORI. ET. MEMORIÆ
JOANNIS. FRANCISCI. CHAMPOLLIONIS.
QUI. ARCANÆ. AEGYPTIÆ. SCRIPTURÆ
RECONDITAM. DOCTRINAM. PRIMUS. APERUIT
MONUMENTA. ÆGYPTIA.
REGIS. VICTORII. EMANUELIS. LIBERALITATE
CONQUISITA
IN. HIS. ÆDIBUS. DOCTE. INVISIT. SCRIPSIT. ILLUSTRAVIT
MODERATORES. REI. LITTERARIÆ
STATIM. AC. DE. MORTE. CELEBERRIMI. VIRI. NUNTIATUM. EST
MENSE. MARTIO. AN. MDCCCXXXII
CIPATUS. REGIS. CAROLI. ALBERTI. SECUNDO.


— Le défaut d’espace nous a empêchés de rendre compte de Napoline, un poème nouveau, de Mme Émile de Girardin (Delphine Gay). Napoline est une œuvre remarquable, et annonce une transformation complète dans le talent de Mme de Girardin. Ce n’est plus cette jeune fille rougissante, fière de sa beauté, et timide ; cependant essayant d’entrer dans le monde,