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celui de France, de ces pauvres obélisques d’Alexandrie ; ils me font mal depuis que j’ai vu ceux de Thèbes. Si l’on doit voir un obélisque égyptien à Paris, que ce soit un de ceux de Louqsor. La vieille Thèbes s’en consolerait en gardant celui de Karnac, le plus beau et le plus admirable de tous ; mais je ne donnerai jamais mon adhésion, dont on pourra, du reste, fort bien se passer, au projet de scier en trois un de ces magnifiques monolithes. Ce serait un sacrilège : tout ou rien. »

En même temps, il proposait de mettre l’un de ces obélisques sur un radeau, et de lui faire descendre le Nil. Il indiquait l’obélisque de droite, celui qui a été enlevé en effet, et donnait tous les moyens de le transporter sans encombre. À son retour, Champollion écrivit du lazareth de Toulon une lettre au ministre de la marine dans laquelle il détaillait de nouveau son projet.

« Le palais de Louqsor, disait-il dans cette lettre, est bâti sur un tertre factice, et l’obélisque de droite, placé à petite distance du Nil, pourra être conduit au fleuve en profitant de cette pente. Il faudra abattre, il est vrai, un assez grand nombre de maisons du village moderne, mais ces cahutes de boue pourront être facilement acquises à cinq cents francs la douzaine.

« Le poids de l’obélisque ne dépasse pas de beaucoup quatre cents tonneaux, et il suffit d’une de nos grosses gabares, telles que le Rhinocéros ou le Dromadaire, pour le conduire du rivage d’Égypte dans le port du Hâvre. La difficulté sera dans le transport du monument sur le Nil, de Thèbes à l’une des embouchures de ce fleuve, naturellement celle de Rosette. Il paraîtrait indispensable que la gabare partît de France avec toutes les pièces d’un grand radeau destiné à recevoir l’obélisque. L’Égypte manque absolument de bois de construction. »

Dans cette lettre qui est fort longue, Champollion prévoit tout, lève tous les obstacles, et indique tous les moyens dont on s’est servi avec tant de succès depuis, sans faire mention de lui, l’auteur véritable, le créateur de toute cette entreprise.

Plus tard, long-temps après, en 1829, une commission chargée d’examiner les projets de transport des obélisques fut nommée par l’Institut. Cette commission profita de tous les documens de l’illustre Champollion, et envoya en Égypte M. Taylor, commissaire du roi près le Théâtre-Français. Le Moniteur annonça son arrivée à Alexandrie le 10 mai 1830. Nous estimons beaucoup le caractère et la persévérance de M. Taylor, nous faisons grand cas de ses talens comme homme de goût et comme dessinateur, mais nous ne dirons pas moins que l’Institut lui a fait jouer un rôle ridicule, surtout quand son nom s’est trouvé accolé dans les journaux à l’obélisque du Louqsor. Le nom de M. le baron Taylor, tout honorable qu’il soit, n’est pas encore de taille à être gravé sur le granit, au-dessous des noms de Sésostris et de Memnon. Si l’on y inscrivait celui de Champollion, à la bonne heure.

Dans un second rapport, demandé par le ministre de la marine à Champollion, celui-ci entre dans tous les détails de l’expédition, et la guide, en quelque sorte, sur cette terre d’Égypte qu’il connaissait si bien.

Après de profondes considérations d’histoire et d’art, Champollion conseille, dans ce rapport, au chef de l’expédition, de s’entendre avec les beys et cachefs des cantons pour ne point entreprendre l’opération dans le mois où les paysans sont obligés de cultiver les terres. On manquerait de bras.

Il lui conseille de se concilier, par de petits présens, les cheiks des principaux villages de Thèbes, qui sont Karnac, Louqsor et Kourna. « On