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pareille, Casimir Périer debout, au pied du trône, collationnant, le manuscrit à la main, le discours qu’on prononçait sur le fauteuil royal, et se montrant fièrement à l’élite de la nation assemblée, comme un ministre consciencieux qui ne voulait répondre que de ses propres actes. Mais maintenant on fait peu de cas du caractère de Périer dans les coteries du pouvoir, et un journal ministériel a été chargé de déclarer qu’un tel homme n’était bon tout au plus qu’à marcher contre l’émeute. Dans ces temps où il y avait quelque péril à diriger un ministère, on consentait à prendre des ministres ; aujourd’hui que tout est calme, on ne veut plus que des commis.

Il paraît, au reste, que le discours de la couronne a été amélioré par la main qui l’a amendé en dernier lieu, si l’on peut donner le nom d’améliorations aux précautions excessives à l’aide desquelles on a déguisé la pensée qui en fait le fond. M. Guizot, trahi par l’âcreté de sa bile, y dévoilait, dit-on, sans trop de ménagemens, les projets de sa coterie, et sonnait bravement quelques coups de trompette contre les désordres moraux signalés, il y a peu de temps, par le Journal des Débats. Signaler des désordres dans la société, à une législature, c’est lui demander les moyens d’y remédier. Le discours annonçait donc quelques petits projets de lois préservatrices et tutélaires, telles que des mesures d’exception assez semblables aux mesures que M. Guizot et ses amis provoquaient jadis sous la restauration, une réforme de la législation sur la presse, réforme toute bénigne, toute paternelle, qui eût permis de rechercher les auteurs des articles incriminés par tous les moyens innocens que la police met si bien en œuvre, et enfin un léger amendement à l’institution du jury, au sujet duquel M. Persil s’est déjà expliqué avec tant de franchise.

Le discours de M. Guizot, fort bien écrit, nous n’en doutons pas, parut un peu âcre au modérateur suprême, et M. Thiers, ce Janus en miniature, qui avait applaudi à la pensée fanfaronne des doctrinaires, fut, dit-on, le premier à conseiller tout bas, en haut lieu, de ne pas jouer un jeu si risqué dans la session qui allait s’ouvrir. On se contenta donc de louer la fermeté des magistrats, sans leur demander de suivre M. Persil dans ses doctrines ; on parla seulement de l’accomplissement des promesses de la charte, sans déclarer que les garanties qu’elle offre à la sécurité du trône sont insuffisantes, et on ne laissa percer son humeur contre la liberté qu’en invitant vaguement les chambres, les gardes nationales, les magistrats et l’administration, à s’armer contre le danger des illusions et à combattre les moulins à vent de la république.

La nomination de M. Persil à la vice-présidence de la chambre était une conséquence forcée du discours de M. Guizot. Cette nomination se liait à un système tout entier conçu par les doctrinaires. M. Persil avait fait le premier pas par son fameux discours à la cour royale ; en le choisissant pour son vice-président, la chambre faisait le second pas et donnait son assentiment à ce discours, et se liait, dès l’ouverture de la session, dans laquelle on lui eût présenté, sans vergogne, tous les projets de loi qui s’élaboraient déjà sur la table du ministre de l’instruction publique. La nomination de M. Persil au ministère de la justice devait terminer cette trilogie ; car M. Persil vise droit aux sceaux, et aspire ardemment à y remplacer non pas M. Barthe, mais M. de Peyronnet.

Dès lors les petites intrigues commencèrent. On dîna chez M. Guizot, on dîna chez M. Thiers, on dîna chez M. de Broglie ; les députés qui se trouvaient déjà à Paris furent circonvenus par tous les moyens usités. Il fallait porter M. Persil ; on ne pouvait abandonner M. Persil ; M. Persil était l’avant-garde du ministère, l’homme courageux, l’homme dévoué. Dans un de ces dîners, qui eut lieu chez M. d’Argout, le ministre alla