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L’art fut le dieu de Tacite. Satisfaire ses vastes facultés par leur application, trouver des idées et des saillies à toutes les faces de son esprit, des sujets où il pût à la fois se montrer éloquent, comique, poète, savant, tragique, changer le style romain, n’écrire ni comme Cicéron, ni même comme Sénèque qui mourait pendant son enfance, innover dans l’histoire telle que la connaissait l’antiquité, pénétrer pour la première fois dans l’intimité du cœur et de la vie, revêtir un fonds immense de formes aussi pures que celles de Salluste et de Thucydide, voilà sa passion et sa vie. Tacite est questeur, préteur et consul par accident, mais il ne se propose sérieusement que d’être écrivain immortel ; il s’efface devant le genre humain ; aussi avec quel goût il parle de lui-même, quand à grand hasard il en parle ! Quelle sobriété admirable dans sa personnalité ! comme il se perd noblement dans la foule des hommes et des choses qu’il pousse et qu’il accumule dans son récit ! Cet homme est aussi convenable que sublime.

Entre les mains de Tacite, l’art fut utile au monde, comme entre les mains d’Homère, comme en celles de Dante ; cependant ni Dante, ni Homère, ni Tacite n’eurent le dessein prémédité d’être positivement utiles au genre humain. Mais c’est une loi divine que l’art, se développant dans une large droiture, s’élève fatalement à une haute moralité.

Aujourd’hui, il peut y avoir de la volonté dans la moralité de l’artiste ; au moyen âge, dans l’antiquité, il n’y avait que de l’instinct.

C’est la glorieuse récompense des grands artistes d’être de siècle en siècle appréciés différemment : dans leur immortelle durée, ils éprouvent des vicissitudes ; ils demeurent un problème à l’humanité ; on les débat ; leur place change dans l’esprit des hommes, tantôt plus haut, tantôt plus bas, dans une catégorie, puis dans une autre ; mais leurs noms éternels peuvent attendre patiemment la réparation d’injustices passagères ; ils vivent, voilà l’essentiel.

Si donc, d’intervalle en intervalle, il se fait un nouveau contrôle des monumens et des gloires historiques, nous devons un gré infini aux savans qui, comme M. Burnouf, nous fournissent les moyens de rendre ce nouvel examen plus complet et plus facile : M. Burnouf a parfaitement senti ce renouvellement séculaire qui se fait