Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/112

Cette page a été validée par deux contributeurs.
108
REVUE DES DEUX MONDES.

cœur ; n’y a-t-il pas chez lui des traits et des scènes qui rappellent l’indomptable énergie de Shakspeare ?

Quel est l’auteur du Dialogue sur les orateurs, est-ce Quintilien ou Tacite ? Des preuves matérielles ne permettent guère d’ôter ce dialogue à Tacite. Tous les manuscrits portent le nom de l’historien, et un grammairien du moyen-âge, Pomponius Sabinus, cite comme de Tacite une expression remarquable qui ne se trouve que dans cet ouvrage, Calamistros Mæcenatis. Des alliances de mots, des formes de style qui appartiennent particulièrement au peintre de Tibère, ont été également relevées. Nous dirons en outre que la portée infinie de ce dialogue ne laisse pas douter qu’il ne soit la propriété de Tacite. C’est une satire des mœurs, du goût et de l’éducation du siècle ; il s’agit beaucoup moins des détails du style oratoire, que du fond des choses ; sous un prétexte littéraire, ce morceau est une peinture de la société : et puis des traits qui révèlent Tacite : Magna eloquentia, sicut flamma, materia alitur, et motibus excitatur et urendo clarescit… Bono sæculi sui quisque, citrà obtrectationem alterius, utatur. Le talent de Cornelius se pliait à tout avec une souplesse extrême. Tous les artifices de la composition littéraire lui étaient familiers. Ainsi il trouve le moyen d’exprimer son humeur sur l’impuissance de la liberté antique, dont il est le triste spectateur, en mettant dans la bouche de Maternus une amère satire de la démocratie athénienne. Il se sert d’un des interlocuteurs, Aper, qui s’est fait l’avocat du siècle, pour critiquer vivement Cicéron et son style ; c’était répondre à ses détracteurs, qui lui reprochaient de n’avoir pas la phrase cicéronienne, et d’écrire suivant les suggestions de son propre génie.

« Les premiers discours de Cicéron, dit Aper, ne sont pas exempts des défauts de l’antiquité : il est lent dans ses exordes, diffus dans ses récits, sans fin dans ses digressions ; il tarde à s’émouvoir, s’échauffe rarement, termine peu de phrases par un trait heureux et lumineux. Rien à détacher de son ouvrage, rien à retenir ; c’est un édifice d’une architecture grossière, dont les parois solides et durables n’ont pas assez de brillant et de poli. Or l’orateur est pour moi comme un père de famille riche et honorable ; il ne suffit pas que son toit le mette à couvert de la pluie et des vents ; j’y veux quelque chose pour la décoration et les regards.