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ÉTUDES DE L’ANTIQUITÉ.

un espace de cinquante ans, entre la mort d’Auguste et celle de Néron. Tibère occupe les six premiers livres. Le temps nous a envié la conjuration et la mort de Séjan. Caligula nous manque ; nous trouvons au onzième livre Claude et Messaline. Le récit continue sans interruption jusqu’à la mort de Thraséas qui se fit ouvrir les veines deux ans avant que Néron, aidé par son secrétaire Epaphrodite, se mît à grand’peine un poignard dans la gorge. Ainsi Tacite rejoignait à la fin de ses Annales le commencement de ses Histoires. Les Annales nous semblent le chef-d’œuvre de Tacite, et dans les Annales, les trois premiers livres sont à coup sûr ce que l’historien a composé de plus harmonieux et de plus beau. L’ouverture du règne de Tibère précédée de la mort d’Auguste, les premiers troubles militaires dans la Pannonie et sur le Rhin, l’offre de l’empire fait à Germanicus, l’opiniâtre résolution de Tibère de ne pas quitter Rome, les combats de Germanicus et d’Hermann, le prince romain arraché à ses triomphes germaniques, l’Orient qui, suivant Tibère, avait besoin de la sagesse de Germanicus, Orientem, nisi Germanici sapientia, componi, remis entre les mains du jeune stoïque, les pièges de Pison, le voyage en Égypte de l’émule d’Alexandre, sa mort, la douleur et le retour d’Agrippine, la dissimulation de Tibère qui publie un édit pour consoler les citoyens, car, disait-il, principes mortales, rempublicam œternam esse ; le procès de Pison, l’abus fait par les délateurs de la loi Julia-Poppea, une excursion admirable sur l’antiquité du droit et des mœurs des Romains, les accusations de lèse-majesté se multipliant, des adulations folles à soulever le dégoût de Tibère, la première faveur de Séjan, et pour clore le tableau, les images de Brutus et de Cassius resplendissant par leur absence aux funérailles de Junie, sœur de Brutus, femme de Cassius, et nièce de Caton ; voilà comme une tragédie complète sur la première partie du règne de Tibère. En général Tacite, dans ses récits, développe une habileté dramatique de l’ordre le plus élevé ; il est dramatique comme doit l’être l’historien ; sans altérer les faits, sans dénaturer les hommes, il leur demande tout ce qu’ils enferment de poésie réelle, et il les laisse dans leur vérité, tout en les agrandissant dans leurs vices et leurs vertus. De plus, Cornelius avait quelque chose de tragique dans l’imagination et dans le