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medium relinquam ; je laisserai dans leur incertitude les faits mal éclaircis. Tacite n’a pas composé le De moribus Germanorum avec le pédantisme d’un dissertateur ; il traçait ses tableaux avec les forces mâles et libres que lui prêtait un heureux mélange d’imagination, d’ame et de raison ; c’est plus qu’un écrivain, c’est un de nous, c’est un homme. Il n’y a pas à se défier de lui ; il écrit trop bien pour ne pas dire la vérité, et c’est trop vivant pour n’être pas réel. Les peintures que Tacite a faites des Germains sont magnifiquement vraies : plus on pénètre dans le sens intime de la vie germanique, plus on estime sincères les représentations que nous en a laissées ce Romain. Par quelle puissance de divination juste un Italien a-t-il donc commencé l’histoire de la patrie des Niebelungen ?

Ainsi voilà Tacite ouvrant les annales de l’Angleterre et de l’Allemagne, et placé comme le dernier des anciens à la porte de l’histoire moderne. Après la Vie d’Agricola et les Mœurs des Germains, l’écrivain dut avoir l’entière conscience de ses forces, et reportant ses regards sur Rome, se trouver la vigueur de la peindre pour l’offrir à elle-même. Tacite a presque toujours écrit sur des faits et des hommes dont il était le contemporain. Ainsi firent généralement les historiens de l’antiquité, Xénophon, Salluste, Thucydide. Le gendre d’Agricola se mit à raconter l’histoire romaine depuis la mort de Néron jusqu’à celle de Domitien. C’est un espace de vingt-huit ans ; nous n’avons de cet ouvrage, les Histoires, que les quatre premiers livres et le commencement du cinquième, et encore ces précieux restes n’embrassent qu’un an et quelques mois, tant le récit de l’historien était explicite et savant ! Il faut nous contenter de la peinture des luttes de Vitellius et d’Othon, de l’avènement de Domitien, de quelques expéditions sur le Rhin, et de l’épisode presque homérique du siège de Jérusalem :

Jérusalem, objet de ma douleur,
Quelle main en un jour t’a ravi tous tes charmes ?
Qui changera mes yeux en deux sources de larmes
Pour pleurer ton malheur ?

Cependant, après ses Histoires, Tacite entama quelque chose de plus grand encore ; il entreprit le récit des choses romaines durant