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ÉTUDES DE L’ANTIQUITÉ.

sar, les différentes expéditions et vicissitudes des généraux romains jusqu’à la venue d’Agricola, les campagnes de ce dernier, l’histoire de la ligue des peuples de Calédonie, Galgacus, les mœurs des Barbares et des Romains opposées entre elles par un contraste aussi vif que le choc de leurs armées, forment le centre du morceau. Agricola revient à Rome, essuie les outrageantes froideurs de Domitien et meurt ; fut-il empoisonné ? Tacite ensevelit son beau-père avec une éloquence funèbre qui resta sans pareille jusqu’à Bossuet ; il montre dans le lointain les calamités de Rome qu’Agricola n’a pas vues, et termine son récit par un immense pressentiment que l’âme des hommes est immortelle. Maintenant, demandez aux Anglais ce qu’ils pensent de la Vie d’Agricola ; eh ! c’est à leurs yeux la première page de leur histoire ; ils ont été installés par cette biographie dans la notabilité historique ; et dans les fastes de cette île, Tacite a mis sa plume à côté de l’épée de César.

Quelques publicistes ont reproché à Tacite son imagination ; c’est à peu près lui avoir reproché d’être Tacite. Où Cornelius aurait-il trouvé le mobile qui l’excitait à la peinture des choses les plus nouvelles, sinon dans cette imagination rationnelle qui est le premier caractère de son génie ? Oui, Tacite a écrit avec son imagination ; il a été frappé de l’opposition si vive des Romains et des Germains, de la corruption d’un empire qui s’en va, et de la naïveté d’une société qui veut naître. L’opposition était vraie autant que belle ; elle existait en réalité ; il ne l’a pas créée, mais il l’a vue ; il n’en a pas été le créateur fantastique, mais l’historien profond et l’observateur immortel. Cette fois plus de biographie, les Germains figureront seuls. Tacite commence simplement à la manière des anciens, qui jamais, dans leurs exordes, n’ont embouché la trompette. Quand il a déclaré son projet, les caractères généraux de la Germanie se pressent sous sa plume ; il les peint avec cette continuité énergique, cette force rapide qui ne l’abandonne jamais ; tout s’enchaîne, faits, considérations, tableaux ; enfin la physionomie générale du peuple une fois tracée, l’historien prend, les unes après les autres, les populations enfermées entre le Danube et le Rhin, et il trouve encore le moyen d’être spécial et nouveau, alors même qu’il semblait avoir épuisé la matière. Quand il n’a plus rien à dire, il se tait : Quod ego, ut incompertum, in