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annonce que l’on s’est réuni sans plaisir et que l’on se séparera sans regret. Madras ne possédant pas de théâtres, les autres soirées n’amènent pas encore d’aussi vives distractions. Alors les dames, retirées dans leurs appartemens, éprouvent tout ce que l’ennui peut avoir de plus accablant. Elles n’ont pas leurs enfans pour les distraire ; à peine sortis de la première enfance, ils ont été envoyés en Europe, pour échapper aux maladies qui les eussent dévorés. Heureuse la mère qui peut les suivre ! elle évite le danger de ne les revoir jamais. Si elle reste, sa santé s’affaiblit de plus en plus ; la cruelle maladie de poitrine l’entraîne rapidement au tombeau ; et cette jeune femme, venue fraîche et belle d’Angleterre, va mourir dans quelque établissement de la côte malaise, dont le climat, moins brûlant, lui promettait en vain le retour de la santé. Si l’existence des hommes est plus active et moins monotone, leur fin n’est pas moins souvent malheureuse et prématurée. Ignorant les jouissances de la vie privée, de ces liaisons d’amitié qui font chez notre nation le bonheur de la vie, l’absence de distractions les livre à des excès que les femmes, toujours loin de leurs regards, ne peuvent arrêter ; bientôt leur santé se dérange, et les obstructions au foie viennent terminer une vie vouée dès long-temps aux souffrances et au dégoût. Combien ai-je rencontré, dans le cours de mon voyage, d’employés de la Compagnie rassasiés de richesses ! Ils venaient mendier la santé aux climats tempérés de la Chine et de la Nouvelle-Hollande ; ils n’y trouvaient qu’un tombeau ! »

La Favorite, en quittant Madras, faillit terminer sa campagne sur un banc de vase où elle resta échouée trois jours, et d’où elle ne parvint à se tirer qu’à l’aide de quelques pêcheurs indiens qu’un des officiers fut chercher à terre. Après avoir réparé ses avaries à Mazulipatam, autre ville célèbre dans l’histoire de l’Inde, aujourd’hui misérable, elle arriva à Janaon, modeste comptoir, l’un des débris de notre puissance sur cette côte. Pauvre comme Pondichéry, Janaon n’a pas conservé cette gaîté qui dédommage de la modestie ; la division règne parmi les habitans, et il ne fallut pas moins que l’arrivée de la Favorite pour leur faire oublier un instant leurs querelles. M. Laplace vit enfin à Janaon des bayadères, de vraies bayadères, telles que les a décrites Raynal et que nous les voyons à