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humeur, où s’arrêteraient les prétentions des royalistes, et quelle sorte de ministère ils avaient dessein de lui imposer. M. Corbière, tout spirituel qu’il était, ouvrait déjà la bouche pour répondre sérieusement au roi, quand M. Villèle, avec cet enjouement et cette bonhomie apparente qui diminuent l’expression peu attrayante de son visage, se hâta de faire bon marché de ses amis, et se moqua, avec tout l’aplomb d’un homme de cour, de l’aveugle opiniâtreté des gens les plus emportés de son parti. Le roi, homme d’esprit aussi, et dont les convictions étaient également fort légères, comprit aussitôt M. Villèle. Le lendemain, M. Corbière fut nommé président du conseil de l’instruction publique, et M. Villèle entra avec M. Lainé dans le conseil.

M. Villèle avait refusé de se laisser faire ministre à portefeuille, car on ne lui avait encore offert qu’une direction, celle des contributions directes, qu’on voulait ériger pour lui en ministère ; il aimait mieux essayer le banc des ministres dans une position douteuse, et laisser le ministère de M. de Richelieu se compromettre vis-à-vis des deux partis, sans prendre la responsabilité de ses actes. Jamais situation ne dut plaire davantage à M. Villèle ! Les chefs de l’opposition royaliste venaient chaque matin conférer avec lui dans son appartement de la rue de Provence, et lui dérouler le plan de leurs attaques contre ce ministère dont on lui avait livré tous les secrets, et au sein duquel il s’était introduit comme dans une place ennemie. M. Villèle se laissait doucement gronder de son inertie, disait d’un air pensif à ses partisans qu’il n’était pas encore temps de saisir le pouvoir, les engageait mollement à modérer leurs agressions, défendait ses collègues du conseil par de mauvaises raisons, découvrait comme par mégarde leur côté faible ; et quand, à la chambre, M. Castelbajac avait lancé des paroles furieuses à M. Pasquier, quand M. de Richelieu, M. Roy et M. Siméon étaient sortis de la séance tout meurtris par l’éloquence acérée de M. de Bonald et de M. Delalot, M. Villèle abordait la larme à l’œil ses collègues, et se plaignait à eux du caractère indisciplinable de ses amis. Un jour, M. de Richelieu se lamenta en présence de M. Decazes, et lui parla avec candeur des embarras de ce bon M. Villèle avec son parti, et des efforts inutiles qu’il faisait pour le calmer. M. Decazes connaissait de longue