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révolution accomplie dans un jour d’effervescence ; elle arrive, au contraire, lentement, péniblement. Luther ne pense d’abord à rien moins qu’à rompre en visière avec le pape ; il s’incline devant lui, il reconnaît sa suprême puissance, il lui donne encore le titre de saint (heiliger Vater Leo). Bien plus, la première fois qu’il comparaît devant le cardinal Cajetan, il se jette à ses pieds, et le supplie de bien comprendre la portée de ses raisonnemens. Il faut donc que la cour de Rome porte les choses à l’extrême ; que la conduite des ecclésiastiques, les vices du clergé, la vente des indulgences, excitent dans tous les cœurs d’abord la défiance, puis le dégoût, puis la haine. Alors Luther sort de toutes ses hésitations ; Luther est le représentant de la réforme opérée dans les esprits ; Luther est le successeur de Savonarola, de Wiclef, de Jean Hus, de Jérôme de Prague et d’autres réformateurs, qui tous étaient venus trop tôt pour asseoir leur nouvel édifice, mais qui n’avaient pu mourir sans laisser çà et là quelque germe de leurs doctrines.

Il est curieux de voir, dans l’ouvrage de M. de Raümer, comment cette grande révolution naît, s’enhardit, se développe, arrive d’abord à se faire entendre, puis à effrayer le pape, puis à plier un instant sous la redoutable puissance catholique, puis à se relever tout à coup pour éclater comme une bombe et renverser en quelques années l’ouvrage de plusieurs siècles. On aimera aussi les détails biographiques dans lesquels l’auteur est entré sur les principaux acteurs de ce drame solennel. Léon x, Érasme ; le duc de Saxe, Ulric de Hutten, sont là dépeints avec vérité et simplicité ; et la violence de Cajetan et d’Alcander contrastent singulièrement avec le calme, la fermeté de Luther et la douceur de Melanchton.

Le second volume, si l’on en excepte un chapitre assez étendu et très intéressant sur l’histoire de Suède, de Danemarck et de Norwège, se partage entre l’histoire de France et d’Angleterre jusque dans les premières années du xviie siècle.

C’est en quelque sorte la suite, ou le contre-coup de la réforme allemande. Ici le commencement des guerres religieuses ; le parti catholique battant à main armée contre les novateurs ; Charles ix et la Saint-Barthélemy ; Coligny et les Guise ; la France divisée en deux camps, dominée par la Ligue, sillonnée par le protestantisme, ensanglantée par ces luttes de parti, de religion, de rivalité ambitieuse. M. de Raümer a traité cette partie de notre histoire en homme libre et consciencieux, qui ne rend compte qu’au public du résultat de ses recherches, du fruit de ses études, en protestant qui déchire sans passion, mais aussi sans ménagement, le voile que les catholiques ont voulu jeter sur ces pages sinistres de nos annales, Il ne veut rien cacher, ni du caractère superstitieux et cruel de