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souffre que la Prusse nous interdise le passage sur son territoire ; lorsqu’ils souffrent qu’elle fournisse vivres, munitions, ingénieurs, pontons aux Russes, qui, sans ce secours, auraient eu leurs lignes d’opérations coupées ; lorsqu’ils calment, au lieu de l’exciter, l’ardeur belliqueuse des Persans et des Turcs qui auraient pu faire une si heureuse diversion. Ainsi nous aurons dépensé 1500 millions, nous aurons réuni cinq cent mille soldats, pour qu’ils assistent l’arme au bras à l’exécution des patriotes-italiens, à l’intronisation d’un prince anglais, et aux funérailles d’une nation amie ! Vous ne vous associerez pas à de pareils actes ; vous n’approuverez pas un système qui prépare à l’histoire des pages semblables à celles des dernières années de Louis xv ! »

Ce fut, je crois, à l’issue de ce discours qu’une jeune femme, placée dans une des tribunes publiques, jeta au général Lamarque un bouquet de fleurs qu’elle avait sur son sein, faveur que dut bien lui envier M. Sébastiani, lui toujours si sensible à ce genre de suffrages.

Dans ces dernières paroles, Lamarque avait fait allusion à une phrase bien malheureuse de M. Sébastiani qui avait dit à la tribune, que la Pologne était destinée à périr. M. Sébastiani eut souvent ainsi le malheur de se compromettre par des paroles qui exprimaient trop bien sa pensée, et qu’il formulait d’une façon singulière. Ainsi, un jour il annonça que les puissances nous laisseraient la paix, si nous étions sages. À ce propos, Lamarque qui ne laissait rien perdre, s’écria : « Qui décidera si nous sommes sages, ou si nous ne le sommes pas ? Où siégera le tribunal, l’assemblée des Amphictyons ? Elle sera sans doute composée de rois ! Eh bien ! ils décideront que nous n’avons pas été sages dans le mois de juillet dernier, lorsque nous avons renversé un trône et chassé une dynastie ; ils le décideront, et vous savez comme ils oublient, comme ils pardonnent ! »

M. Sébastiani prononça aussi, le jour où il annonça à la chambre la prise de la capitale de la Pologne par les Russes, ces mots devenus fameux : « Maintenant, l’ordre règne à Varsovie. » Mais il paraît que cette parole, si elle fut un crime, ne fut pas une faute du moins, et qu’elle ne fut pas dite sans dessein ; car on m’a assuré que l’empereur Nicolas, ayant eu connaissance de ce