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deste. Poussé dans ses derniers retranchemens, il écrit en date du 19 septembre, c’est-à-dire après avoir pris plusieurs jours de réflexion : « En adressant à votre excellence l’état des pertes que le 4e corps a faites aux batailles de Talaveyra et d’Almanacid, j’avais oublié effectivement de vous dire que nous avions été obligés de laisser deux pièces de canon sur le champ de bataille ; mais c’est parce qu’elles étaient démontées. Du reste, votre excellence a pu voir quelle avait été notre bravoure : nous n’avons perdu ni aigles, ni drapeaux, etc. »

Ces lettres furent envoyées à l’empereur, qui les reçut à Schoenbrunn. Il termina sèchement la farce en dictant un de ces ordres si brefs qu’on trouve en si grand nombre dans les cartons du dépôt de la guerre, et qui sont terminés par N. NAP, ou par d’autres signes tracés d’une façon tout aussi hiéroglyphique. Cet ordre est adressé au major-général ; il est ainsi conçu : « Mon cousin, vous ferez savoir au général Sébastiani qu’il résulte de toutes les victoires qu’il remporte en Espagne, et dont il vous transmet les emphatiques récits, qu’il a perdu deux pièces de canon, au lieu d’en avoir pris par trentaine. La valeur de ces deux bouches à feu lui sera retenue sur ses appointemens, Il me sera adressé pièces justificatives du paiement effectué. »

Voilà comme se termina cette plaisante histoire. Le général Sébastiani ne continua pas moins de commander le quatrième corps, de remporter des victoires dont les rapports ne furent ni plus exacts ni moins pompeux, et aujourd’hui encore, dans son fauteuil, il se plaît à conter de temps en temps à ses petits-enfans sa grande victoire d’Almanacid.

Cette affaire d’Almanacid et ses suites peuvent en quelque sorte expliquer les variations de M. Sébastiani, qui fut, à la chambre des représentans de 1815, l’un des plus ardens à faire prononcer la déchéance de Napoléon, et à jeter le pilote à la mer au moment de l’orage. Il est vrai que Napoléon avait de grands torts envers M. Sébastiani, et la retenue qu’il avait exercée sur ses appointemens n’était pas le seul grief dont le général avait gardé le souvenir. Dans un jour de grace et de clémence, le roi Joseph avait promis le titre de duc de Murcie à son compatriote. C’était une faveur à laquelle aspirait depuis bien long-temps le général Sébastiani,