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ponnaient de loin avec leur javelot à crochets[1]. Une pareille armée ne pouvait se passer de brigandage, même en pays ami ; mais Gonthramn aima mieux s’exposer à quelque déprédation de courte durée que d’encourir les chances d’une invasion et d’une conquête. Il céda le passage, probablement par le pont de Troyes ; et dans cette ville même, il eut une entrevue avec son frère Sighebert, auquel il promit par serment une paix inviolable et une sincère amitié[2].

À la nouvelle de cette trahison, Hilperik se hâta d’abandonner ses positions sur la rive gauche de la Seine, et de gagner par une retraite précipitée l’intérieur de son royaume. Il marcha sans s’arrêter jusqu’aux environs de Chartres, et campa sur les bords du Loir, près du bourg d’Avallocium, qui maintenant se nomme Alluye[3]. Durant cette longue route, il fut constamment suivi et serré de près par les troupes ennemies. Plusieurs fois Sighebert, croyant qu’il allait faire halte, le fit sommer, selon la coutume germanique, de prendre jour pour le combat ; mais, au lieu de répondre, le roi de Neustrie forçait de vitesse et continuait sa marche. À peine fut-il établi dans ses nouvelles positions, qu’un héraut de l’armée austrasienne lui apporta le message suivant : « Si tu n’es pas un homme de rien, prépare un champ de bataille et accepte le combat[4]. » Jamais un pareil défi porté à un homme de

  1. Voy. mes Lettres sur l’histoire de France, 3e édition, page 93.
  2. Quod ille timens, fœdus cum eodem iniit, eumque transire permisit. Greg. Turon., lib. IV, pag. 229. — Trecas junxerunt, et in ecclesia sancti Lupi sacramenta ut pacem servarent, dederunt. Fredegarii hist. Francor. epitomata, pag. 407. Cet auteur brouille ici les faits de la manière la plus étrange, mais j’ai cru pouvoir profiter des indications géographiques qu’il donne, et qui ne se trouvent point ailleurs.
  3. Denique sentiens Chilpericus quòd Guntchramnus, relicto eo, ad Sigibertum transisset, castra movit et usque Avallocium Carnotensem vicum abiit. Greg. Turon., lib. IV, pag. 229.
  4. Quem Sigibertus insecutus, campum sibi preparari petiit. Greg. Turon., lib. IV, pag. 229. — Homme de rien, Nihtig, Nithing, Niding, selon les dialectes germaniques. Cette formule s’employait dans les défis et les proclamations de guerre. — V. l’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, 3e édition, tom. i, pag. 124.