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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

alors les Douze Ponts, et aujourd’hui Pont-sur-Seine ; mais tous les ponts avaient été rompus, tous les bateaux enlevés, et le roi de Neustrie se tenait campé non loin de là, prêt à livrer bataille, si l’on tentait le passage à gué[1]. À moins de dix lieues vers le sud, la Seine avec ses deux rives faisait partie des états, ou comme on s’exprimait alors, du lot de Gonthramn. Sighebert ne balança pas à le sommer de lui livrer passage sur ses terres. Le message qu’il lui envoya était bref et significatif : « Si tu ne me permets de passer ce fleuve à travers ton lot, je marcherai sur toi avec toute mon armée[2]. »

La présence de cette redoutable armée agit de la manière la plus forte sur l’imagination du roi Gonthramn, et les mêmes motifs de crainte qui l’avaient déterminé à se coaliser avec Hilperik le portèrent à rompre cette alliance et à violer son serment. Tous les détails qu’il recevait de ses espions et des gens du pays sur le nombre et l’aspect des troupes austrasiennes, lui présentaient sous des couleurs effrayantes le danger auquel un refus devait l’exposer. En effet, si les armées des rois mérovingiens étaient d’ordinaire sans discipline, celle-là passait en turbulence farouche tout ce qu’on avait vu depuis l’époque des grandes invasions. Les bataillons d’élite se composaient de la population franke la moins civilisée et la moins chrétienne ; celle qui habitait vers le Rhin, et le gros des troupes, était une horde de barbares dans toute la force du terme. C’était de ces figures étranges qui avaient parcouru la Gaule au temps d’Attila et de Chlodowig, et qu’on ne retrouvait plus que dans les récits populaires ; de ces guerriers aux moustaches pendantes et aux cheveux relevés en aigrette sur le sommet de la tête, qui lançaient leur hache d’armes au visage de l’ennemi, ou le har-

  1. Sed cùm Sigibertus gentes illas adducens venisset, et Chilpericus de alia parte cum suo exercitu resideret, nec haberet rex Sigibertus, super fratrem suum iturus, ubi Sequanam fluvium transmearet. Greg. Turon., lib. IV, pag. 229. — Sigibertus cum exercitu Arciaca resedens, Chilpericus Duodecim Pontes. Fredegarii hist. Francor. epitomata, pag. 407.
  2. Fratri suo Guntchramno mandatum mittit dicens : Nisi me permiseris per tuam sortem hunc fluvium transire, cum omni exercitu meo super te pergam. Greg. Turonn., lib. IV, pag. 229.