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monie nous frappe et nous déplaît. Quelques notes nous semblent fausses ; quelques disparates nous choquent.

Il a pris en main la cause de la littérature. Homme politique, il s’est dévoué à cette cause. Il a déployé de l’éloquence, de l’audace, une spirituelle facilité d’invective pour réhabiliter la condition de l’homme de lettres en Angleterre. Honoré partout ailleurs, l’homme de lettres est méprisé parmi nous. M. Bulwer a beaucoup à faire, une montagne de préjugés à soulever et à renverser pour accomplir la tâche qu’il se propose. Dans la Grande-Bretagne, les relations de famille et les richesses sont tout ; le génie meurt inconnu sans les guinées ou le patronage. Napoléon, Shakspeare, Gibbon, ne seraient parvenus à rien parmi nous[1]. Que le ciel favorise les efforts de Bulwer, quelque téméraires qu’ils puissent être !


Jean Gibson Lockhart. — Les romans qu’il a publiés sont d’une nature si variée, que l’on serait tenté de les attribuer à des écrivains différens. C’est un de ces hommes qu’il est difficile de juger, tant les qualités dont son intelligence se compose sont hétérogènes. Il connaît la vie et le monde, la littérature et les anciens ; il a de la sympathie pour le beau comme pour le comique, pour le monde invisible comme pour le monde visible. Il a prêté à quelques-uns de ses acteurs le langage léger, facile et sémillant des coteries superficielles pour leur donner ensuite des paroles pleines d’émotion, de passion, de naturel ; mais depuis qu’il s’est livré exclusivement à la critique, il a jeté sur les créations de sa jeunesse un coup-d’œil de mépris.

Les Lettres à Pierre, son premier ouvrage, attestent en effet peu de maturité. C’est un singulier mélange de toutes les idées et de tous les sujets : l’auteur parle au hasard de tout ce qui a frappé son imagination et éveillé sa pensée, de la manière de couper et de servir le pudding écossais, de la parure des dames à Glascow, de poésie, de phrénologie, de critique, d’agriculture. Il y a de la vérité, de l’effet, beaucoup d’esprit et de vigueur dans ce livre, quelque incomplet qu’il soit. Valerius est un roman de mœurs qui reproduit la situation privée des Romains sous les

  1. Je ne sais jusqu’à quel point ce reproche peut être considéré comme exact. Le nombre des hommes célèbres de l’Angleterre actuelle, qui se sont frayé une route vers la gloire et la fortune, est fort considérable. M. Allan Cunningham lui-même n’a-t-il pas trouvé des protecteurs et des panégyristes empressés ? W. Scott n’a-t-il pas débuté avec un patrimoine très modique, et ne s’est-il pas placé de niveau avec les premiers noms de la Grande-Bretagne ? Lord Brougham grand chancelier d’Angleterre ; n’était-il pas un avocat assez obscur ?